Vaucluse : le PS en difficulté face au FN

L’extrême droite a depuis longtemps vampirisé l’UMP dans cette région gérée depuis 2001 par une majorité socialiste. Reportage

Jean Sébastien Mora  • 12 mars 2015 abonné·es
Vaucluse : le PS en difficulté face au FN
© Photo : CITIZENSIDE / FRANCOIS PAULETTO / AFP

Le contraste est saisissant. À Orange, à quelques centaines de mètres d’une résidence de standing hautement sécurisée, des barres d’immeubles du quartier de l’Aygues attendent depuis trente ans leur destruction. La plupart des fenêtres ont été murées, parfois des volets se décrochent avec le mistral. Pourtant, au milieu de ce chaos, des dizaines de familles précaires vivent encore ici. En ce dimanche, sans même un banc pour s’asseoir, une poignée de jeunes tente ainsi de passer le temps, fumant au soleil. Aucun n’ira voter : « Ça ne change rien ! », tranche Younes, 32 ans. Et de rappeler la responsabilité du département socialiste et du bailleur social Mistral Habitat dans l’abandon du quartier : « Il y a dix ans, nous avions bloqué la nationale pour dénoncer cette situation. Cela n’a eu aucun effet   » L’abstention est forte dans le Vaucluse (54 % lors des élections européennes). L’arrivée du FN dans certaines municipalités dès 1995, bien que marquée par les affaires, le grotesque et les conflits d’intérêts, n’a pas remobilisé l’électorat. Au contraire, elle a entretenu une apathie politique. Premier département frontiste à la présidentielle de 2012 (27 %), le Vaucluse a élu deux députés d’extrême droite, Marion Maréchal-Le Pen (FN) et le maire d’Orange, Jacques Bompard (Ligue du Sud). Ici, le FN s’est enraciné dans un terreau sociétal très favorable : un territoire de villégiature et de petites villes, une population vieillissante, une vie associative marginale, une forte présence de rapatriés d’Algérie… «   Chaque jour, j’ai le sentiment d’être en résistance   », témoigne Dominique Jules, enseignant et initiateur des cafés littéraires d’Orange. D’autant que de nouveau, dans cette campagne, l’UMP et le FN incriminent « ceux qui profitent des aides sociales ». Dans le département, l’adhésion de la droite populaire à une stratégie du bouc émissaire a été précoce : le vote UMP s’y est ensuite écroulé, particulièrement après le départ d’une génération incarnée par Thierry Mariani. Après avoir ouvert les vannes aux thèses FN, Mariani a déserté le département pour une circonscription des Français établis à l’étranger.

À première vue, pour les départementales, l’affaire est donc pliée. Si l’on se fonde sur les européennes (36,4 % des voix pour le FN), l’extrême droite remporterait 9 des 17 cantons du Vaucluse, bénéficiant d’une majorité au conseil général. Il s’agit cependant d’élections locales avec un scrutin à deux tours. «   Je ne crois pas à une victoire du FN », rétorque ainsi Alexandre Houpert, élu d’opposition à Orange et coordinateur de la campagne socialiste du Vaucluse. Depuis 2001, aux départementales, le PS limite la casse en faisant alliance avec Europe Écologie-Les Verts et, selon les secteurs, avec le Front de gauche. Si le nord du département est présenté comme «   perdu d’avance   », l’élection se jouera à Carpentras, à Valréas ou encore dans le canton d’Avignon-3, où la gauche fait face au frontiste Philippe Lottiaux, parachuté aux municipales (30 % des voix au premier tour). Pour conserver une majorité au conseil général, « nous faisons une campagne de terrain, dans les quartiers, en rappelant tout ce que nous avons fait via le département   », témoigne Darida Belaïdi, candidate dynamique d’Avignon-1. Cependant, avec plusieurs candidats déjà maires, comme Francis Adolphe à Carpentras, le PS rompt difficilement avec l’image tenace de  « parti d’apparatchiks   ». Dans ce contexte, les socialistes pourraient toutefois profiter des luttes intestines de l’extrême droite vauclusienne. Très puissante dans le nord du département, la Ligue du Sud, fondée par l’ancien frontiste Jacques Bompard en 2010, rivalise avec le FN dans cinq cantons. Aux sénatoriales de 2014, la rivalité entre les deux formations a coûté à l’extrême droite le siège de sénateur auquel elle pouvait prétendre. «   Jacques Bompard est un félon, un traître  », s’insurge France Barthélémy, candidate FN dans le canton de Valréas. Et qu’importe si, entre la Ligue du Sud et la ligne libérale-conservatrice de Marion Maréchal-Le Pen, il y a peu de différences sur le fond.

Comme chez les Le Pen, pour Jacques Bompard, personnage autoritaire et provocateur, la politique est affaire de famille : à Bollène, son épouse Marie-Claude est la candidate sortante ; dans le canton d’Orange, il a placé son fils, Yann. Dans les rues d’Orange, ce dernier fait campagne sans tracts. Inutile car, après vingt ans à la mairie d’Orange, «   Bompard est désormais une marque ». Pour contrer le FN, les rumeurs évoquent aussi une alliance entre la Ligue du Sud et l’UMP. «   De manière habile, Jacques Bompard a détruit la politique et vampirisé la droite locale », analyse Anne-Marie Hautant, élue de l’opposition à Orange et vice-présidente de la région Paca. Le flottement entre l’UMP et l’extrême droite est tel que plus rien ne provoque d’indignation. Dernière connivence en date, l’élection du président (UMP) de l’agglomération d’Avignon avec les voix du FN. Désormais, le Vaucluse est un laboratoire, l’aboutissement d’une contre-révolution conservatrice.

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