Éric Beynel et Olivier Dartigolles : « Transformer la colère sociale en mobilisation »

Le gouvernement est confronté, ce 9 avril, à un large mouvement à l’appel de quatre organisations syndicales. Éric Beynel (Solidaires) et Olivier Dartigolles (PCF) expliquent ce qu’ils en attendent.

Thierry Brun  et  Michel Soudais  • 9 avril 2015 abonné·es
Éric Beynel et Olivier Dartigolles : « Transformer la colère sociale en mobilisation »
© **Éric Beynel** Porte-parole de Solidaires. **Olivier Dartigolles** Porte-parole du PCF. Photo : CITIZENSIDE/AURÉLIEN MORISSARD/AFP

Manuel Valls fait face, le jeudi 9 avril, à une journée de grève nationale interprofessionnelle et à des manifestations contre sa politique d’austérité et ses réformes. Syndicats, associations et responsables politiques de gauche ont tenu un meeting unitaire, mardi, à Paris, contre la loi Macron, le jour même où le texte arrivait en discussion au Sénat. Alors que se tiennent ce week-end les premières réunions des Chantiers d’espoir ( Politis n° 1335), nous avons cherché à savoir jusqu’où politiques et syndicalistes étaient prêts à travailler ensemble en interrogeant Éric Beynel, porte-parole de l’Union syndicale Solidaires, et Olivier Dartigolles, porte-parole du PCF.

Qu’attendez-vous du gouvernement et de la gauche parlementaire ?

Éric Beynel : Les récentes élections n’ont en rien infléchi la stratégie libérale de ce gouvernement, qui, au contraire, accélère le pas dans une logique mortifère. Les différents cadeaux au patronat (CICE, pacte de responsabilité, etc.), les projets de loi comme Macron I et II, les attaques contre les services publics, l’assurance chômage, etc. sont là pour montrer qu’il ne répond en aucune façon, après des décennies de destruction des droits sociaux, aux attentes des travailleurs et des demandeurs d’emploi.

Olivier Dartigolles : La politique suivie par le gouvernement est en échec, comme le montre la situation de l’emploi. Et sa poursuite n’annonce aucun résultat positif pour les mois qui suivent. Ce n’est pas en supprimant de fait le CDI qu’on incitera les entreprises, les PME en particulier, à embaucher. On leur permettra de licencier plus facilement, c’est tout. Ce dont ont besoin les PME et les entreprises en général, c’est de carnets de commandes bien remplis. Cela veut dire en finir avec les bas salaires, augmenter significativement le Smic et les pensions. Et aussi favoriser l’investissement.

Qu’attendez-vous de cette mobilisation intersyndicale et interprofessionnelle ?

É. B. : L’urgence sociale doit s’exprimer avec force dans la rue. Les organisations syndicales ont, dans cette période, la responsabilité d’appeler à réagir pour construire des mobilisations refusant ces politiques et ces inégalités. Cette journée du 9 avril est pour nous l’occasion d’exprimer la colère sociale dans la rue et de la transformer en mobilisation collective d’ampleur.

O. D. : Cette mobilisation est une initiative syndicale et nous avons à cœur d’en respecter totalement le caractère. Cela ne nous empêche pas d’y participer en contribuant, en qui nous concerne, à son succès. Nous appelons les salariés à y participer massivement. Pour les salariés, pour les chômeurs, pour les jeunes qui sont en proie à la précarité, il est temps de se rassembler et de dire « stop ! ». La loi Macron est une loi libérale, taillée sur mesure pour le Medef et inspirée par lui. Une mobilisation massive de grèves et de manifestations peut aider à débloquer la situation cadenassée par la politique Hollande-Valls.

Manuel Valls a annoncé qu’il maintiendrait le cap des réformes. Si les élections ne le font pas renoncer, est-ce dans la rue que ça se passe ?

É. B. :  Depuis l’arrivée de François Hollande à la présidence, le mouvement social n’a pas encore réussi à créer les conditions d’un rapport de force qui soit à la hauteur des attaques en cours. La désunion syndicale, bien entendu, pèse dans cette situation, mais elle ne doit être ni une excuse ni un frein à la construction des mobilisations. Sur le terrain, dans les entreprises, dans les administrations, les travailleurs s’inscrivent dans de nombreuses luttes, le plus souvent unitaires. C’est d’ailleurs aussi le cas dans nombre d’autres pays européens. La responsabilité syndicale est de favoriser une coordination des luttes et leur élargissement pour faire basculer le rapport de force en faveur de celles et ceux qu’on veut faire taire et qu’on n’écoute pas.

O. D. : Même si ce n’est pas la même chose, je ne veux pas opposer les mobilisations électorales et les mobilisations dans la rue. C’est une folie pour le gouvernement de rester sourd aux cris de la société. C’est pourquoi les mobilisations sociales sont indispensables, et nous souhaitons que le 9 avril soit un signal donné en ce sens. Sont également nécessaires des débats et des rassemblements politiques très larges, pour créer les conditions d’un mouvement politique capable de rassembler une majorité des salariés, des hommes et des femmes du peuple, pour d’autres choix politiques.

La CGT, FO, la FSU et Solidaires semblent très mobilisés. Envisagez-vous de vous revoir après la journée du 9 avril ?

O. D. : La question s’adresse surtout à Éric Beynel, mais, pour notre part, nous le souhaitons vraiment.

É. B. : Nous devons nous retrouver dès le lendemain du 9 avril et travailler ensemble pour proposer aux travailleurs une stratégie d’action efficace et résolue. C’est aussi par la prise en mains et la conduite des mouvements sociaux par les travailleurs eux-mêmes que les choses peuvent bouger. L’Union syndicale Solidaires est prête à agir avec tous, elle l’a fait savoir clairement à de nombreuses reprises. Le patronat et le gouvernement ignorent nos revendications, seule la lutte unitaire, large et dans la durée, paye. Nous n’avons pas d’autre choix.

Des parlementaires de la gauche, y compris dans la majorité, souhaitent un changement de politique. Des convergences sont-elles possibles ?

O. D. : Oui, il y a des convergences possibles. Elles sont presque naturelles. Si on dressait la liste des grandes revendications et des aspirations populaires portées parallèlement par les élus et les militants de la gauche, les écologistes, les syndicalistes, les militants des associations de solidarité, pour le logement, celles de défense des droits humains ou des féministes, on verrait comme la liste est longue et belle ! On souffre sûrement de porter ces aspirations chacun dans notre coin, comme si les autres n’existaient pas. Toutes les initiatives pour porter en commun ces revendications ont notre approbation. Et nous-mêmes devons chercher à les multiplier.

Envisagez-vous d’en discuter ? De travailler ensemble à l’élaboration de politiques alternatives ?

É. B. : L’Union syndicale Solidaires s’inscrit toujours dans une démarche de transformation sociale. Elle travaille avec l’ensemble du mouvement social et dialogue avec les partis politiques. Pour nous, il s’agit d’échanger nos idées, de confronter nos points de vue et nos revendications pour construire des ripostes larges et unitaires. Le nombre de collectifs avec lesquels Solidaires s’engage, en atteste. Dans le même temps, nous sommes profondément attachés à l’indépendance entre le mouvement social et les organisations politiques, et nous refusons d’être instrumentalisés par tel ou tel dans de simples perspectives de recomposition politique. Nous n’en nions pas l’utilité pour les partis politiques, mais nous n’avons pas notre place dans l’écriture d’un nouveau programme commun ou de quelque chose d’analogue. Ceci dit, dans cette période difficile et exigeante vis-à-vis de nous tous, il est plus qu’utile d’avoir des cadres larges de discussions. Mais cela doit se faire en respectant l’autonomie du mouvement social, donc sans se substituer à lui dans les mobilisations existantes ou à venir. C’est un enjeu ici mais aussi ailleurs, au vu, par exemple, des changements en Grèce. Un projet de transformation sociale postcapitaliste doit intégrer une réflexion approfondie sur les formes d’organisations collectives et les formes de délibération démocratique, dont les partis ne sont pas l’alpha et l’oméga, et cette réflexion dépasse le cadre institutionnel existant. Pour Solidaires, il y a urgence à redonner sens à l’utopie d’un autre monde. Comme l’écrivait Édouard Glissant : « L’utopie n’est pas le rêve. Elle est ce qui nous manque dans le monde. »

O. D. : Je crois qu’il y a possibilité de travailler ensemble à cette élaboration pourvu qu’on en crée les conditions. Je comprends la réticence des syndicalistes à travailler avec des formations politiques à l’élaboration d’un programme de gouvernement. Je partage ce point de vue dans la mesure où je considère qu’en toute situation il y a besoin de syndicats indépendants des pouvoirs politiques, du patronat, des partis. Mais travailler ensemble une alternative, est-ce uniquement travailler un programme ? N’en avons-nous pas assez, les uns et les autres, de ne devoir que nous opposer à des mesures gouvernementales et patronales ? N’avons-nous pas à passer à la contre-offensive, à poser et à appeler à des mobilisations pour des réformes positives ? J’ai apprécié que le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, relance le débat sur les 32 heures. Ne pouvons-nous pas, ensemble, poser ainsi quelques grandes réformes positives, débattre avec les salariés, la population, de ces mesures, en faire des objets de luttes, de manifestations ? N’est-ce pas ainsi qu’on ouvre des perspectives, qu’on construit des alternatives ? Ensuite, aux formations politiques de s’engager ou non à mettre en œuvre ces réformes si elles gouvernent. Ce serait sans doute une démarche féconde.

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