Ingrats « Indochinois » !

Lire le nouveau bouquin de Philippe Val est une expérience rare : tant d’inepties nappées de tant de fiel.

Sébastien Fontenelle  • 16 avril 2015 abonné·es

Tel que tu ne me vois pas, Olga, je suis en train de me fader le nouveau bouquin de Philippe Val, ex-patron de Charlie Hebdo (puis, sous Sarko, d’une radio publique). Je ne m’inflige pas ce truc par plaisir, je te rassure – je ne suis quand même pas névrosé à ce point-là : c’est pour les besoins de mon prochain livre [^2]. Mais je dois reconnaître que c’est une expérience d’une intensité relativement rare, car il n’est somme toute pas si courant, même dans la période contrastée que nous vivons depuis bientôt quinze ans (et qui est, comme tu sais, marquée par une durable défaite de la pensée progressiste), de lire, ailleurs que sous la plume d’Alain Finkielkraut, et dans l’espace congru de quelques dizaines de pages, tant (et tant) de (très) grossières inepties – nappées de tant de fiel.

Tout ou presque, dans cette purge, vaudrait d’être cité, en guise d’illustration de ce que peut donner la longue dérive d’un mec réputé « de gauche » vers les tréfonds de la cuistrerie droitière : à l’heure du choix, donc, mon cœur balance… et penche par exemple vers les passages où Val décrète notamment – je espérer que toi être assis(e), parce que ça peut quand même saisir : « Lorsque le pouvoir de droit divin a été renversé, il a aussitôt été remplacé par une mystique de l’Égalité qui a produit, d’une part, les grandes messes rouges qui ont endeuillé la planète pendant un demi-siècle, et d’autre part le sociologisme d’aujourd’hui. » Mais, décidément, j’ai un faible particulier pour les pages où il narre que, certes, Berthe, la colonisation – soyons justes – n’a pas eu que des côtés positifs, et qu’on y a même vu – c’était là son aspect « le plus scandaleux », d’après notre Penseur [^3] – « des colons exerçant une domination et une oppression dont les conséquences ont été catastrophiques pour une foule d’individus [^4] » … mais que, tout de même – touuut de même – faudrait voir aussi à ne pas complètement oublier, au prétexte de l’anticolonialisme excessivement revêche « d’aujourd’hui », qu’elle a aussi « bon gré, mal gré […] exporté les idées des Lumières, celles qui rendent désirables et nécessaires l’accès à la culture, le respect des droits fondamentaux, de la vie privée et l’instauration d’une démocratie représentative » … puis qu’elle a « donné à des Arabes, des Africains, des Indochinois, le goût de la démocratie et de la culture » – et les a éloignés «  de la saine naïveté qui fait supporter les dictatures et les violences révolutionnaires ».

Mohammed ? Bao ? Je vous aime bien, tous les deux – tout Arabe et Indochinois que vous soyez. Mais depuis que j’ai lu le bouquin de Val – et découvert là que, sans nous, vous seriez restés confits dans votre inculte nigauderie, je trouve qu’il serait décent que vous nous remerciassiez un peu plus chaleureusement, nous autres la France, de vous avoir naguère nantis de tant de bienfaits – bande d’ingrats.

[^2]: Les Marchands de haine, qui paraîtra à l’automne chez Libertalia.

[^3]: Vec une majuscule, comme dans : Pauvre, Pauvre, Pauvre mec.

[^4]: Et non, comme tu pourrais sottement supputer sur la foi d’une approche trop partisane de l’action humanitaire des paras qui sécurisaient le djebel Chélia circa 1954 (non moins qu’auparavant le Tonkin), pour des peuples entiers.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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