La rude bataille d’Alexis Tsipras

Malgré quelques concessions, le chef du gouvernement garde une confiance massive de la population. Correspondance à Athènes, Angélique Kourounis.

Angélique Kourounis  • 2 avril 2015 abonné·es
La rude bataille d’Alexis Tsipras
© Photo : AFP PHOTO / JOHN MACDOUGALL

Cela fait un peu plus de deux mois que Syriza, le parti de la gauche anti-austérité, est au pouvoir. Et, malgré les reculades sur une partie des engagements pris avant sa victoire électorale, 60 % de Grecs continuent de le soutenir. Soit pratiquement le double de ceux qui l’ont élu. Si le bilan est loin des lendemains qui chantent, il n’est pas aussi négatif qu’une certaine presse voudrait le laisser croire. Une presse qui parle tour à tour de « capitulation » ou d’un gouvernement qui « se plie aux exigences de Bruxelles » ( le Monde ), sans oublier la campagne de décrédibilisation du ministre des Finances, Yanis Varoufakis, qui, il faut le reconnaître, est le client idéal pour ce genre d’opération.

Mais plus on tire sur le pianiste, moins on écoute sa partition, et c’est, somme toute, le but du jeu. Car, en l’occurrence, les partitions du tandem Tsipras/Varoufakis valent la peine d’être écoutées. Portés par cette légitimité populaire, les deux hommes ont voulu expliquer clairement « qu’il n’était plus question de dire oui à tout. Qu’on était là pour négocier et qu’on avait nos idées sur ces négociations », comme le résume une source proche, qui ajoute : « Personne ne s’y attendait à Bruxelles. Inversement, nous ne nous attendions pas à un aussi grand mépris pour le vote grec, nous avons été plus que naïfs mais on a vite appris. » En fait, celui qui a vite appris, c’est Alexis Tsipras. Négociateur né, patient mais aussi déterminé qu’obtus, il aurait eu, selon la presse grecque, des mots très vifs avec ses interlocuteurs lors du mini-sommet de Bruxelles. À Angela Merkel qui lui demandait pourquoi les privatisations n’avancent pas, il a répondu : « Parce que nous voulons faire des privatisations avec des partenaires internationaux qui créent des emplois et où le secteur public jouera un rôle déterminant, comme en Allemagne. » À Mario Draghi, qui refuse de desserrer les cordons de la Banque centrale européenne (BCE), il a rappelé que la Grèce honore, pour l’instant, tous ses engagements rubis sur l’ongle, mais « ne reçoit rien en retour ». Enfin, à Jean-Claude Junker, président de la Commission, qui lui reprochait de mésestimer l’équipe de techniciens européens en mission à Athènes, Tsipras a rétorqué que « certains essaient systématiquement de dévier l’accord signé le 20 février pour le raccrocher aux accords passés » .

Pour le politologue Georges Sefertzis, le soutien des Grecs à Tsipras, y compris parmi ceux qui n’ont pas voté Syriza, vient de « cette capacité à résister »  : « Il a rendu aux Grecs leur dignité. » Mieux, « les Grecs n’attendant pas grand-chose de ces négociations, tout ce que pourra gagner Tsipras sera une victoire à leurs yeux. » Odysseas Boudouris, ex-député indépendant, qui s’est battu aux côtés de Syriza aux dernières élections, sans pouvoir toutefois entrer au Parlement, ne dit pas autre chose : « Si Syriza arrive à faire ne serait-ce que 5 % de ce qu’il a promis, il aura gagné, car, en face, les autres n’ont jamais résisté aux créanciers, et ça, les Grecs le savent. »

Ceux qui mènent une guerre idéologique contre Syriza le savent aussi. D’où leur refus de regarder de plus près les propositions du gouvernement et leur hâte à les qualifier d’imprécises ou de floues, sans jamais en apporter la preuve. Et pourtant, pendant que Tsipras est à Bruxelles ou à Berlin pour tenter de calmer les tensions gréco-allemandes, le travail parlementaire se poursuit à Athènes. Le Parlement a adopté le projet de loi permettant de payer ses dettes envers l’État en cent traites pour être exempté de l’amende. Le ministère des Finances espère ainsi récupérer la plus grande partie des quelque 76 milliards d’arriérés d’impôts. Autre projet de loi voté, celui visant à venir en aide aux plus durement frappés par la crise en leur assurant un accès aux soins, une aide au logement, des bons de nourriture, de l’électricité et du chauffage. « Le minimum de ce qu’un État digne de ce nom doit offrir à ses concitoyens », a martelé Alexis Tsipras avant de s’envoler pour rencontrer son homologue allemande. Homologue à qui il avait adressé, dès le 15 mars, une longue lettre dans laquelle il disait redouter que, « devant l’impossibilité du pays à se financer sur les marchés, devant les restrictions de la BCE et, surtout, devant une certaine inertie de l’Europe, le pays risque le défaut de paiement ». Il regrettait « qu’une faible somme d’argent n’entraîne une grave crise pour la Grèce et l’Europe ». De fait, les montants dont la Grèce a besoin pour faire face à ses obligations sont ridicules si on regarde ce qui a déjà été prêté au pays pour rembourser ses créanciers. Soit 233 milliards d’euros, alors que 20 milliards suffiraient aujourd’hui à sortir la Grèce d’affaire, et l’Europe du bourbier dans lequel elle s’enfonce. C’est dire si la solution est politique bien plus qu’économique. D’abord, la philosophie des réformes. Il ne s’agit pas de faire des réformes quantitatives visant uniquement à ramener des fonds dans les caisses pour tenir jusqu’à la prochaine tranche, mais bien de changer réellement les choses pour que l’argent rentre de façon régulière et permanente. Autrement dit, pas de baisse des salaires et des retraites, et pas d’autorisation de licenciements massifs. Quant aux privatisations, si Athènes est prêt à mettre de l’eau dans son vin sur le port du Pirée, par exemple, pas question de brader ! « Athènes ne vendra pas à des prix humiliants », a même précisé le secrétaire d’État aux Finances.

Du coup, les dernières propositions grecques étudiées à Bruxelles les 28 et 29 mars sont encore jugées « trop floues ». Pourtant, selon la presse grecque, les projets de réformes sont bel et bien chiffrés : 350 millions d’euros pour la lutte contre la fraude à la TVA, 250 millions pour la lutte contre la contrebande de tabac et de cigarettes, 1,4 % de croissance et 3 milliards de rentrées en 2015. Sans parler des mesures pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales via le contrôle de tous les virements bancaires passés à l’étranger. Tsipras livre donc sa bataille pour respecter ses engagements et tenir une partie de ses promesses électorales. Dans la nuit du 29 mars, les réformes qu’il a proposées ont été acceptées à 2 h 30 du matin par le Conseil des ministres, après six heures de débats houleux. Le lendemain soir, il les soumettait au Parlement, où il avait contre lui l’opposition mais aussi l’aile gauche du parti et l’eurogroupe, qui joue l’asphyxie. Pas facile.

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