L’autre gauche face à ses responsabilités

Sous cette satanée Ve République, il faut proposer des choses claires qui s’inscrivent fatalement dans la perspective de la présidentielle.

Denis Sieffert  • 2 avril 2015 abonné·es
L’autre gauche face à ses responsabilités

Quelle édifiante journée que ce mardi 31 mars ! François Hollande à Berlin, Manuel Valls à l’Assemblée : c’était jusqu’à la caricature les deux faces inconciliables d’une impossible politique. L’un rassurant en toute hâte la chancelière allemande ; l’autre tentant de circonvenir les frondeurs socialistes. Deux jours après la débâcle électorale des départementales, le couple exécutif s’était partagé la tâche. Le président de la République est allé dire à Angela Merkel qu’il ne sera évidemment tenu aucun compte du vote des Français, et que le gouvernement poursuivra sans faiblesse sa politique de réduction des dépenses publiques et sociales.

En fait, François Hollande avait déjà pris les devants deux semaines avant le scrutin en affirmant à Challenges qu’il n’y aurait « pas de changement, ni de ligne, ni de Premier ministre ». Un message doux aux oreilles de ses donneurs d’ordres européens, mais électoralement désastreux. Comment signifier plus clairement à ses électeurs qu’il n’est pas indispensable d’aller voter ? Quant à Manuel Valls, il avait, mardi, la lourde mission d’expliquer la défaite devant le groupe socialiste. Un contre-emploi pour un homme qui ne fait généralement pas dans la dentelle. Son argument, relayé ensuite par tous les caciques du parti, peut se résumer d’une formule : la faute aux autres, aux écolos, au Front de gauche, aux frondeurs ! Mais jamais à la politique du gouvernement ! La faute à la division ! Comme s’il s’agissait de querelles subalternes, et non de divergences politiques profondes. Comme si les appels à l’unité du Premier ministre étaient autre chose que des injonctions à se rallier sans condition à une politique massivement réprouvée. Qui peut encore se laisser prendre ? L’autre argument postélectoral est tout aussi usé. C’est un peu : « De défaites en défaites, la gauche fonce vers la victoire ! » Car seule compte la fin. Cet instant béni où le chômage sera vaincu, la dette remboursée et la société apaisée. En attendant, ne prêtons pas trop attention à ces foutues élections qui sont la plaie de la démocratie. Elles viennent toujours trop tôt, et le peuple ne sait pas attendre… Les élections, il faut donc en minimiser l’importance et, si possible, les faire oublier…

Mais Manuel Valls joue aussi sa propre partition. Il a son discours qui n’est même plus celui, trop classique, de dirigeants socialistes aux abois, devant justifier l’injustifiable. C’est le grand saut à droite. Ostensiblement, il gomme toute espèce de différences entre UMP et PS. MM. Sarkozy et Hollande ne sont-ils pas l’un et l’autre de bons « républicains » ? L’électeur du second peut même voter sans dommages pour le premier, quitte à préparer sa victoire pour 2017. Car il n’y a qu’un seul ennemi : le Front national. C’est le Bien et le Mal. Un discours tout terrain qui peut aussi servir contre le terrorisme. Après cela, il y a presque une logique à voir surgir sur nos écrans un Nicolas Sarkozy ragaillardi. Quelle image pourrait mieux illustrer le discours de Manuel Valls que ce retour de l’ex triomphant ? Mais comment empêcher l’électeur de gauche de se dire, à cet instant : « Quoi ? Tout ça pour ça ! » La campagne de 2012, « mon ennemi, c’est la finance », « moi Président… », la grande réforme fiscale, la renégociation du traité budgétaire européen, toutes ces promesses pour ce retour au passé ? Et pour que le Premier ministre nous dise que l’essentiel est, finalement, de faire barrage au Front national ? Voudrait-il détruire le Parti socialiste – et la gauche – qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Mais une fois que l’on a dit tout le bien qu’il faut penser de Manuel Valls, il est urgent de se tourner vers… la gauche. Celle des écologistes, du Front de gauche, de Nouvelle Donne, et de tous les socialistes qui refusent la mutation politique et culturelle qu’incarne l’actuel Premier ministre, ou son ministre des Finances, qui en est à faire l’éloge, à mots à peine couverts, de Margaret Thatcher (voir notre écho, p. 5).

Que dit-elle cette autre gauche, si peu audible ? « Ne nous résignons pas !  […] Offrons à notre peuple une nouvelle alliance populaire, crédible, indépendante de ce gouvernement », a proposé lundi Jean-Luc Mélenchon. Pierre Laurent parie sur les « chantiers de l’espoir », ces lieux de réflexion et d’élaboration lancés en janvier dernier (voir Politis n° 1335). Quant aux frondeurs, ils jouent toujours sur deux tableaux. Ils espèrent encore « prendre le Parti socialiste » au congrès du mois de juin. Mais, au fond, ça changerait quoi ? Et ils n’excluent plus un rapprochement avec l’autre gauche. Rien de tout ça n’est incompatible. Mais sous cette satanée Ve République, il faut présenter à nos concitoyens des choses claires qui s’inscrivent fatalement dans la perspective de la présidentielle. Mélenchon a raison de proposer une « alliance visible » ayant « le même sigle » afin que « chacun puisse l’identifier ». Depuis plusieurs mois, cette gauche n’existe plus vraiment aux yeux du plus grand nombre. Elle n’est plus « incarnée », comme elle l’avait été pendant la campagne présidentielle par le même Mélenchon. Il lui faut d’urgence relever ce défi. Sans quoi, il sera bientôt vain d’accabler Manuel Valls.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

Temps de lecture : 5 minutes