Le cirque jongle avec les sons

La musique est de plus en plus présente sous les chapiteaux. Le festival Spring, en Basse-Normandie, vient d’en témoigner.

Anaïs Heluin  • 9 avril 2015 abonné·es
Le cirque jongle avec les sons
© Photo : Moa Carlsberg

Avec le dialogue du jongleur Jérôme Thomas et du compositeur Roland Auzet dans Deux hommes jonglaient dans leur tête (voir Politis n° 1287), le « cirque électro » de la compagnie Lonely Circus ( Politis n° 1324) ou encore les acrobaties de la fanfare circassienne Circa Tsuica ( Politis n° 1328), il a souvent été question ici de liens intimes entre cirque et musique. Du 7 au 31 mars, le festival Spring, porté par La Brèche – Pôle national des arts du cirque de Basse-Normandie –, a mis en avant la vigueur de cette transdisciplinarité. À travers sa programmation, déjà, avec six spectacles construits sur un rapport original entre arts du cirque et partition musicale.

Une rencontre organisée par le réseau européen Circostrada et La Brèche a également permis de mettre des mots sur les gestes et les sons. Parmi les artistes invités à s’y exprimer, la plupart présentaient leur travail à La Brèche de Cherbourg ou dans l’un des quinze lieux partenaires du festival, étendu à l’ensemble de la Basse-Normandie. Roland Auzet créait en effet À travers Max avec l’Orchestre régional de Basse-Normandie, et Nicolas Mathis, du collectif Petit Travers, est venu avec Les beaux orages qui nous étaient promis, pièce de jonglage sur une musique de Pierre Jodlowski. Le Belge Alexander Vantournhout se livrait aussi au double exercice du plateau et de la parole. De la musique live à la musique enregistrée, un large éventail de relations entre les deux disciplines est apparu. La présence du compositeur ou de musiciens sur scène est la forme la plus explicite de ce dialogue. La plus pratiquée aussi. En témoigne le travail de Roland Auzet, de Circa Tsuica et de Thomas Guérineau, aussi au programme de Spring, avec Maputo Mozambique [^2] et Maintenant ou jamais. Chacun avec son esthétique, ces artistes portent une réflexion sur les nouveaux espaces sonores et visuels offerts par l’échange entre deux disciplines qui ont toujours cohabité sans dialoguer pour autant. « Pour un compositeur, écrire avec un circassien permet de modifier son rapport à l’espace et au temps. En s’invitant sous le chapiteau, il retrouve un rapport simple et concret à la musique », affirme Roland Auzet. Pas question de musique illustrative ni d’accompagnement. Chez Roland Auzet comme chez les circassiens cités plus tôt, on joue de la musique comme d’un agrès. Dans À travers Max, une joute entre les objets sonores imaginés par le compositeur et les instruments classiques de l’orchestre donne lieu à un cirque acoustique des plus singuliers. Comme chez Thomas Guérineau – qui a mis en piste des artistes mozambicains jonglant autant qu’ils chantent et jouent du tambour –, la musique dit toute la complexité du cirque contemporain. Son ancrage populaire et ses développements savants depuis la naissance du « nouveau cirque » dans les années 1970.

Les étonnants Caprices d’Alexander Vantournhout et Les beaux orages qui nous étaient promis du Petit Travers font intervenir la musique de manière plus discrète. Sur le plateau, les agrès et les corps entretiennent avec la partition sonore une conversation pleine d’implicites. En un virtuose ballet de jonglage, Nicolas Mathis et ses six compagnons de scène cherchent «   par la musique à faire groupe d’une somme d’individualités ». «   Le frottement de deux langages aux logiques propres est central dans notre travail. Nous confrontons notre jonglage à des partitions exigeantes comme celle de Pierre Jodlowski, qui a composé la musique de notre dernier spectacle », poursuit Nicolas Mathis. Danseur et prodige de la roue Cyr, Alexander Vantournhout va lui aussi très loin dans le frottement en question : sur la musique de Salvatore Sciarrino, «   faite de spectres de notes plus que de notes réelles », il a imaginé une manière de « bouger naïvement, comme un personnage de dessin animé ». Sa prochaine création, Aneckxander [^3], promet aussi de beaux croisements.

[^2]: Le 10 avril au cirque Jules-Verne-Pôle national des arts du cirque à Amiens (80), puis tournée en Afrique. www.thomasguerineau.com

[^3]: Aux Subsistances à Lyon, du 7 au 17 avril puis en tournée. www.alexandervantournhout.be

Culture
Temps de lecture : 3 minutes