Monsieur le directeur du Monde

Plutôt que de bosser, l’auteur(e) s’est contenté(e) de recopier un vulgaire tract patronal.

Sébastien Fontenelle  • 9 avril 2015 abonné·es

Monsieur le directeur du Monde (ML2D M ), On dirait pas comme ça, mais je suis un vieux lecteur de votre quotidien : j’ai commencé à l’acheter (en même temps que d’autres fanzines keupons) quand j’étais lycéen et depuis, si mes souvenirs sont bons, j’ai recommencé tous les après-midi. ( Tous les après-midi, putain : quand je pense au gigantesque paquet de pognon que j’ai englouti là, je me dis soudain que j’aurais peut-être mieux fait de l’investir dans cette Coccinelle 1972 qui squatte mes rêveries automobilières depuis des lustres, mais bon, passons – à quoi bon les regrets, comme disait Jean-Vincent Placé.)

Comme tel [^2], je voudrais, si vous le permettez [^3], vous signaler ici un fait qui me semble être de nature à nuire à l’irréprochable réputation de sérieux de votre journal – dont nous savons qu’il doit tous les soirs défendre contre les assauts de la concurrence (barbichue, libre et non faussée) son rang de publication « de référence ». Neffet, je suis tombé, dans son numéro daté des 5 et 6 avril derniers, sur un éditorial – non signé, comme d’hab – qui se terminait par ces mots, que je suis obligé de citer un peu longuement pour bien vous faire toucher leur inconcevable inanité : « Après la déroute aux élections départementales et à l’approche du congrès du PS, il s’agit d’adresser des signaux “de gauche ”. M. Hollande s’y est employé en évoquant un “compte personnel d’activité” attaché à vie au salarié. […]  Cette piste mérite d’être creusée. Mais sans se dispenser de continuer à corriger les rigidités avérées du marché du travail. »

Or, vous le savez parfaitement, ML2D M, s’il y a bien un truc, en France, qui n’est pas du tout avéré, c’est très précisément la rigidité du marché du travail (MDT). Puisque, en vérité, ledit MDT a été, pour mieux complaire au patronat, obsessionnellement assoupli (à grands coups de législations antisociales qui ont, chaque fois, laissé d’affreuses plaies dans le flanc du salariat) – et, pour tout dire, complètement détruit ou presque – par les gouvernements de droite (et notamment « socialistes ») qui depuis trente ans étendent sur nos vies leur emprise. De fait, il n’y a plus guère que le Medef pour prétendre – à la fin de perfectionner encore l’imposition, partout, d’un nouvel esclavage (petitement) salarié – qu’il serait encore trop rigide et que les travailleurs disposeraient donc encore de trop de droits.

Et c’est bien à cela que je voulais en arriver ici, ML2D : plutôt que de bosser un peu, l’auteur(e) anonyme de l’éditorial paru le 4 avril au soir dans votre journal s’est contenté(e) de recopier, pour sa conclusion, et avec une servilité thatchériste qui ne s’était plus jamais vue dans vos pages depuis au moins la semaine d’avant, un vulgaire tract patronal. Et je préfère te prévenir que j’ai trouvé ça si dégoûtant que, si ça reproduit encore trop, je vais finir par m’acheter plutôt ma Volkswagen.

[^2]: Comme lecteur d’ancienne date, donc, ça serait bien que vous suiviez un peu, ML2D M.

[^3]: Si tel n’est pas le cas, tant pis : je vais pas non plus changer le sujet de cette chronique parce qu’un colporteur du libéralisme l’a pas autorisée, pour qui tu t’es pris, sans déconner ?

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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