Popol Vuh : La montagne sacrée

Un coffret consacré à Popol Vuh est l’occasion de redécouvrir ce groupe unique et mystique.

Jacques Vincent  • 23 avril 2015 abonné·es
Popol Vuh : La montagne sacrée
© **Kailash** , Florian Fricke, Soul Jazz Records.

Entre la fin des années 1960 et le milieu des années 1970, l’Allemagne de l’Ouest a connu une période musicale marquée par une intense effervescence. Venus d’un peu partout, Berlin, Munich, Cologne, Düsseldorf, Wümme, nombre de groupes – encouragés par l’exemple du rock anglo-saxon mais décidés à produire une musique qui lui devait peu – ont commencé à émerger.

Au-delà de leurs différences musicales, ils partageaient un goût pour l’expérimentation dans les formes d’expression et l’instrumentation. Le plus connu est sans doute Kraftwerk, toujours en activité, mais d’autres ont laissé une trace importante dans l’histoire musicale. Amon Düül II, Can, Faust, Neu !, Ash Ra Tempel ou Popol Vuh. Plus discrets, ces derniers, un temps qualifiés de « groupe fantôme en provenance de Munich », ont pourtant été, avec Kraftwerk, ceux qui ont paradoxalement touché le plus grand auditoire en signant la musique de plusieurs des films de Werner Herzog. Un large auditoire, mais pas toujours au fait de ce qu’il écoutait. Formé en 1969 par un certain Florian Fricke, le groupe a été précurseur en matière de musique électronique. L’un des premiers en Allemagne à utiliser le moog et les synthétiseurs sur leurs deux premiers albums. Alors qu’au même moment un groupe comme Tangerine Dream en était encore à jouer sur des instruments classiques, Fricke, lui, a suivi le chemin opposé.

Toujours à contre-courant, il délaisse rapidement le moog et le synthétiseur, les considérant comme trop éloignés du rythme naturel du battement de cœur, et en revient alors aux instruments classiques, dont le piano, qu’il avait étudié plus jeune. Florian Fricke avait l’habitude de dire que sa musique, quelle que soit la forme qu’elle avait pu prendre au fil des ans, était essentiellement une « messe pour le cœur ». Et le mot messe n’est pas anodin : c’est son caractère mystique qui définit le mieux cette musique et la démarche de son créateur. Une démarche dans laquelle recherche musicale et spirituelle n’ont toujours fait qu’un. Ce qui l’a conduit à s’intéresser à d’autres civilisations, dont certaines disparues, le nom du groupe, emprunté à la bible maya, n’est pas venu par hasard. D’autres cultures, d’autres gammes, d’autres rythmes et d’autres sonorités. Cette quête l’a aussi mené sur le chemin du pèlerinage au mont Kailash, dans l’ouest du Tibet, montagne sacrée pour les bouddhistes et les hindous, en compagnie de Frank Fiedler, autre membre fondateur de Popol Vuh et aussi réalisateur. Un film d’une cinquantaine de minutes en a résulté. Il était resté inédit et constitue l’une des trois pièces de ce coffret.

Images muettes de paysages grandioses, de quelques-uns des très rares habitants et de pèlerins, sur fond de musique du groupe. Les musiques qui accompagnent ces images composent la deuxième pièce du coffret. Des enchevêtrements nuageux aux mouvements et aux contours incertains, une vision d’infini ou d’éternité. S’y ajoutent, suivant les morceaux, flûte, percussions éparses et voix. La troisième pièce est une suite de compositions pour piano seul, enregistrées entre 1972 et 1989 et, pour partie, jamais publiées. Elles se meuvent lentement sur des chemins arides et obscurs. Ce sont des musiques méditatives, tournées vers l’intérieur, en suspension. Une illustration du volet le plus ascétique de la musique de Popol Vuh, de la richesse et de l’originalité des compositions de Florian Fricke, disparu en 2001, mais aussi de la magnifique singularité de son groupe.

Musique
Temps de lecture : 3 minutes