Aube dorée : la fin de l’impunité ?

Le procès des dirigeants du mouvement néonazi ne devrait pas réduire leur influence dans le pays, laquelle dépend surtout de la crise économique. Correspondance à Athènes, Angélique Kourounis.

Angélique Kourounis  • 13 mai 2015 abonné·es
Aube dorée : la fin de l’impunité ?
© Photo : AFP PHOTO/ Louisa Gouliamaki

Déjà deux fois reporté, le procès du parti néonazi grec Aube dorée, qui s’est ouvert mardi à Athènes, risque de durer. Présenté par les médias comme le procès du siècle, il reflète tous les dysfonctionnements de l’État grec dans cette affaire. La plupart des députés du parti incarcérés ont dû être relâchés au bout des 18 mois de préventive parce que le procès n’avait pas commencé à temps. Ensuite, s’est posé le problème de la salle : un espace aménagé dans l’enceinte de la prison de Korydallos, en banlieue d’Athènes. Sauf qu’avec 69 accusés, environ 200 témoins et une centaine d’avocats, sans parler de la presse, cette salle est inadaptée.

Cerise sur le gâteau, le maire de Korydallos, de peur d’incidents, refuse que le procès, qui doit durer au moins 18 mois, se tienne dans sa ville. Les faits lui donnent raison. Lors de l’ouverture de l’audience, trois témoins d’accusation ont été agressés par des militants d’Aube dorée. Et la semaine dernière, lors du second report, un riverain de Korydallos a été tabassé par des manifestants antifascistes qui l’ont pris pour un partisan du mouvement d’extrême droite. Dans les deux cas, malgré la présence massive des forces anti-émeutes, la police n’a rien vu venir. Les dix-huit députés, dont le fondateur du parti, Nikolaos Michaloliakos, risquent jusqu’à vingt ans de prison. Ils sont accusés de « direction ou d’appartenance à une organisation criminelle », « le seul article du code civil qui permette d’emprisonner un député sans faire tomber au préalable son immunité parlementaire », expliquait en octobre 2013 Georgios Katrougalos, constitutionnaliste et membre du gouvernement Syriza. Toutes les actions imputées aux députés, membres ou sympathisants du parti, seront passées au crible. Qu’il s’agisse d’assassinat, d’agressions contre des migrants, des syndicalistes, des homosexuels ou des journalistes. But avoué de l’opération : démontrer que ces agressions ne sont pas le fait isolé d’individus, mais bien des actions qui s’inscrivent dans le cadre d’une politique du parti, décidée par les dirigeants. Si la démonstration est faite, alors Aube dorée ne sera rien d’autre qu’une organisation criminelle qui n’a plus lieu d’être. Mais c’est loin d’être gagné. Les avocats de la défense avancent qu’il s’agit « d’un procès politique ». Ce que récuse Dimitris Psarras, journaliste qui suit ce parti depuis les années 1980, auteur du livre la Bible noire d’Aube dorée, et principal témoin à charge. Ses archives ont alimenté le rapport du procureur de la Cour suprême, Charalambos Vourliotis, qui estime que « la structure hiérarchisée du parti ne laisse aucun doute sur les commanditaires des crimes reprochés ». Déontologie oblige, Psarras n’écrira pas une ligne sur ce procès qui, pour lui, doit montrer « juridiquement le caractère criminel de cette association ». Mais le journaliste prévient : « Ce procès ne sera déterminant que s’il démontre les liens d’Aube dorée avec le pouvoir politique, le monde des affaires et les médias. » Dans son livre, il dresse la liste des attaques d’Aube dorée au cours des vingt dernières années, dont le meurtre de Shehzad Luqman, un jeune Pakistanais poignardé par deux membres du parti, condamnés depuis, et relève les ratonnades quasi quotidiennes à partir de 2011.

Ce n’est pas la volonté politique qui a mis fin à cette situation, mais l’assassinat, en septembre 2013, du rappeur antifasciste Pavlos Fyssas, au couteau là aussi, par un cadre d’Aube dorée. Fyssas était grec, blanc et jeune. Aussi, de peur que le pays ne s’embrase comme en décembre 2008, après le meurtre du jeune Alexis, tué par deux policiers, le gouvernement a immédiatement réagi, plaçant sous les verrous tant l’assassin de Fyssas que les dirigeants d’Aube dorée, dans une surmédiatisation plus qu’ambiguë. Une semaine auparavant, des militants d’Aube dorée, dans l’indifférence quasi générale, avaient violemment agressé des syndicalistes communistes. « Ils pensaient être intouchables, mais ils étaient devenus un danger pour le parti au pouvoir », souligne Psarras. Ce procès sonnera-t-il le glas du parti néonazi ? C’est peu probable. D’autant qu’Aube dorée, malgré les révélations dans la presse, y compris sur le passé nazi de ses dirigeants, reste la troisième force politique du pays. Soit près de 7 % des voix, un score qui risque de s’améliorer si la crise continue. Au moins ce procès aura-t-il le mérite de mettre fin à l’impunité des dernières années.

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