Éloge du blasphème

Ces fanatiques de l’iconoclastie ont démontré que leur tolérance était serrée dans d’étroites limites.

Sébastien Fontenelle  • 20 mai 2015 abonné·es

Emmanuel Todd a donc fait un livre [^2] pour montrer que ce qu’il est convenu désormais d’appeler « l’esprit du 11 janvier » – par référence aux gigantesques manifestations où l’on vit ce jour-là M. Netanyahou (parmi quelques autres francs démocrates) défiler pour le vivre-ensemble sur le flanc de M. Hollande – était une « imposture », et que cette exaltation collective n’avait point tant mobilisé pour la défense des libertés que pour celle, notamment, du droit (éventuellement décliné en devoir par quelques âmes spécialement fortes) de vomir des vilenies antimusulmanes [^3]. C’est, en soi, tout à fait intéressant – mais le plus édifiant, dans la publication de cet ouvrage [^2], tient à mon humble avis dans les réactions qu’elle a immédiatement suscitées [^5].

Puisqu’en effet : sitôt que sa teneur a été sue, les mêmes éditocrates qui (d’une part) depuis des années vont proclamant que rien n’est si furieusement sexy qu’un(e) intellectuel(le) « anticonformiste », et qui (d’autre part) psittacismaient en boucle, depuis ledit 11/01, que « la liberté d’expression » était la mère de toutes leurs valeurs, ont lâché sur son outrecuidant auteur, qui avait donc l’effronterie d’user à plein de la sienne (de liberté d’expression) et d’aller contre la nouvelle doxa du temps, des tombereaux d’imprécations qui ne s’étaient plus vues depuis des époques si reculées que je ne vais même pas m’emmbêter [^6] à essayer de me les remémorer – la palme d’or revenant, dans ce concours de haines, à l’indépassable Alain Finkielkraut, qui a considéré (après avoir narré dans son dernier bouquin sa détestation de la banalisation d’un vocabulaire « scatologique » ) que Todd « chiait sur la tête » de plus d’un(e) de ses concitoyen(ne)s. En d’autres termes : ces fanatiques du blasphème – et de l’urgence qu’il y aurait à continuer toujours d’en user contre l’islam sans aucune modération – et (plus généralement) de l’iconoclastie sont littéralement sortis de leurs gonds lorsqu’un téméraire a émis l’opinion que leurs unanimismes, tels qu’ils s’étaient construits après les immondes tueries de janvier, avaient quelques relents de frelaté.

En d’autres termes, ils ont, par leurs invectives, fait eux-mêmes la preuve définitive de la validité de la démonstration de Todd – qui n’en demandait sans doute pas tant. Et démontré que leur tolérance à des points de vue authentiquement originaux (et par conséquent très différents de ceux que l’éditocratie édicte jour après jour) était en vérité serrée dans d’étroites limites – puis enfin, et par complément, que le droit d’offenser qu’ils promeuvent sempiternellement contre les mahométan(e)s n’est tout de même pas si universel qu’il puisse également s’appliquer à leurs propres oukases. Merci mille fois, Emmanuel Todd, pour cette leçon si magistrale.

[^2]: Dont je ne saurais trop te recommander la lecture.

[^3]: Je schématise un chouille, mais grosso modo le propos est celui-ci.

[^4]: Dont je ne saurais trop te recommander la lecture.

[^5]: T’ai-je déjà dit combien ces accords-où-je-sais-jamais-s’il-faut-mettre-« é »-ou-« ées » me rongent la tripe ?

[^6]: Avec deux « m », oui – t’as compris pourquoi ?

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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