Le bas carbone, bon pour le business

Les milieux d’affaires et de la finance prennent conscience des risques du réchauffement pour leurs profits. Mais que valent leurs promesses de se désinvestir des activités polluantes ? Les associations environnementales les ont à l’œil.

Patrick Piro  • 27 mai 2015 abonné·es
Le bas carbone, bon pour le business
© Photo : CITIZENSIDE/JEFF TAN/AFP

C’est l’aube d’une ère radieuse qu’annonce Christina Figueres à la tribune de l’Unesco ce vendredi 22 mai : « Les politiques publiques, les technologies propres, l’économie verte et désormais la finance sont en train de jeter les bases d’une économie bas carbone complètement nouvelle. » À six mois de la conférence climat de Paris (COP 21), qui ne se présente pas sous les meilleurs auspices, la secrétaire générale de la convention climat des Nations unies (CCNUCC) a fait son boulot : entretenir la fragile flamme de l’espoir.

La semaine dernière, sous le patronage du ministère des Finances français, s’est tenue la Climate Week, une rencontre inédite de grands acteurs des affaires et de la finance face au défi du dérèglement climatique. Même les associations en témoignent : l’état d’esprit change. « Avant, c’est souvent l’éthique qui poussait les acteurs économiques à évoluer. Aujourd’hui, ils sont motivés par la perte de rentabilité des énergies fossiles et la crainte de voir leurs actifs charbonniers perdre toute valeur. Le monde des affaires a compris les enjeux », constate Nicolas Haeringer, chargé en France de la campagne internationale « 350.org » de désinvestissement dans les énergies fossiles. En avril, l’assemblée générale de BP a adopté à 98 % une résolution obligeant le pétrolier à prendre en compte le risque carbone dans ses prévisions de rentabilité. Même score chez Shell, la semaine dernière, en faveur d’une stratégie bas carbone. « Comprendre : passer au gaz, la moins émettrice des énergies fossiles », relativise cependant Lucie Pinson, des Amis de la Terre. À l’Unesco, rallié par des dizaines de dirigeants de grandes entreprises [^2], « le secteur privé reconnaît que la transition vers une économie bas carbone est la seule voie pour assurer une croissance économique durable et la prospérité pour tous », affirme-t-on.

Cependant, les bonnes pratiques restent souvent partielles et isolées, et les entreprises renvoient la balle aux gouvernements, qui comptent sur elles dans la bataille climatique : 25 réseaux représentant plus de 6,5 millions d’entreprises dans 130 pays les ont pressés de fixer enfin un prix aux émissions de CO2, pour orienter les investissements et la consommation vers les solutions bas carbone. Mais selon quel mécanisme global ? Il existe des dizaines de pratiques, des taxes carbone aux quotas d’émission en passant par la fixation d’un prix interne du carbone (ou CO2) par des entreprises pionnières. « La COP 21 se penchera sur le prix du carbone », a promis Laurent Fabius, qui en pilote la préparation au gouvernement. Vœu pieux. Pour la seule Union, ça ne sera pas avant 2019, a affirmé François Hollande lors de la Climate Week. Un système appliqué depuis 2005 aux industries européennes les plus émettrices a fini par capoter en raison d’un excès de permissivité. Quant à la finance, « c’est la clé de voûte » d’un accord global à la COP 21, estime la Caisse des dépôts. « Comment réorienter des milliers de milliards ? », proposent les débats. Car l’argent existe pour financer la bataille climatique, mais il n’est pas judicieusement investi. « Le pétrolier Total affirme que les fossiles aident à lutter contre la pauvreté ? Périmé, paresse d’investisseur !, tranche Anthony Hobley, animateur du club de réflexion Carbon Tracker. Aujourd’hui, les énergies renouvelables sont meilleur marché pour le Sud, et les fossiles exposent les investisseurs à un risque financier exponentiel. » Les calculs indiquent qu’il faudra laisser dans le sous-sol la majeure partie des gisements de pétrole, charbon et gaz pour contenir la dérive des températures. Au-delà de 2 °C d’augmentation, le risque climat n’est plus assurable, prédit Swiss Re, le géant de la réassurance.

Là aussi, plusieurs annonces ont été saluées par les associations : les trois principales banques françaises ont renoncé à investir dans le méga-projet charbonnier australien de Galilée, le Crédit agricole a déclaré mi-mai se désengager des projets de mines de charbon. Dans la foulée, Axa, premier assureur mondial, prétend retirer 520 millions d’euros de ses actifs charbonniers. La Caisse des dépôts annonce la publication prochaine de l’empreinte carbone de ses actifs, pour la réduire significativement. La campagne de désinvestissement de 350.org, visant les fonds publics, a obtenu 44 milliards d’euros de retraits en un an et demi. Le 5 juin, le Parlement norvégien se prononcera sur l’interdiction pour le fonds souverain pétrolier norvégien (le premier au monde avec 800 milliards d’euros d’actifs) d’investir dans des activités dommageables pour le climat. Cependant, intervient Martin Skancke, conseiller auprès de ce fonds, « si l’annonce d’un désinvestissement individuel est très médiatique, il remet sur le marché des actifs fossiles que d’autres peuvent capter si nous n’obtenons pas d’engagement collectif à y renoncer ! ». Et ce ne sera qu’une étape. « La finance se préoccupe surtout de se prémunir des risques qui peuvent affecter ses affaires, souligne Philippe Zaouati, patron de Mirova, filiale « investissements responsables » de Natixis. Pour la société, le risque, c’est la dérive climatique. Alors, il faut non seulement se détourner des fossiles, mais aussi investir dans les économies d’énergie et les renouvelables. »

Autre illusion, souligne Nicolas Haeringer. « Si une étape importante se joue actuellement, le gros des soutiens aux fossiles ne provient pas des investissements publics et privés mais des subventions d’État, secteur bien plus opaque. Leur démantèlement est l’un des enjeux de la COP 21. » Un rapport du FMI les évalue à 550 milliards de dollars, près de la moitié des besoins pour la lutte climatique. Cependant, le levier est encore plus important si l’on considère le coût réel des subventions aux fossiles, dégradations environnementales comprises : 5 300 milliards de dollars pour 2015, selon le FMI.

[^2]: Une moitié des entreprises du CAC 40, mais aussi Statoil, Enel, Unilever, Nike, Nestlé, etc.

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