Le bipartisme espagnol asphyxié

Avec l’arrivée de Podemos, c’est toute la culture politique espagnole 
qui est tenue d’évoluer, à sept mois des élections générales.

Erwan Manac'h  • 27 mai 2015 abonné·es
Le bipartisme espagnol asphyxié
© Photo : AFP PHOTO / PEDRO ARMESTRE

«C e sera de la folie », glisse un militant de Barcelona en comú dans le brouhaha de la victoire. L’ère qui s’ouvre pour quatre ans à Barcelone sera en effet une bataille politique de chaque instant. Seule la liste d’Ada Colau (25 %, 11 sièges) est à même de gouverner, en fédérant une alliance à dominante indépendantiste avec l’ERC, parti de centre gauche (11 %, 5 sièges), et le CUP à l’extrême gauche, qui a réalisé une percée cruciale pour l’issue du scrutin (7 %, 4 élus). La droite, divisée sur la question indépendantiste, pourra toutefois réunir une majorité au cas par cas avec le renfort de Ciutadans (11 %, 5 élus), le regroupement de citoyens centriste, et des socialistes qui ont perdu la moitié de leurs voix au profit de la gauche radicale (9,6 %, 4 élus). Ada Colau devra donc ferrailler sur chaque projet. Sauf recours, le vote de l’assemblée municipale doit avoir lieu le 13 juin.


La situation est plus limpide à Madrid : l’extraordinaire poussée de Podemos a placé une magistrate de 71 ans, Manuela Carmena, à un cheveu de la droite (32 % et 20 sièges contre 21 au PP). Il revient de fait aux socialistes (15 %, 9 élus) de faire le choix — historique — du prochain maire de Madrid, alors qu’ils sortent plus affaiblis que jamais du scrutin de dimanche. Donner un gage à la droite au risque d’aggraver le sentiment de rejet qui a causé sa perte, ou introniser Podemos, son pire ennemi du moment. « Le PSOe est en train de devenir comme le Pasok en Grèce », se réjouit Raimundo Viejo Viñas, cadre de Podemos. Ne pas choisir reviendrait à laisser la mairie aux mains du PP, liste arrivée en tête.
Au plan national, le bipartisme a bel et bien volé en éclats comme le pronostiquaient les sondages. Le PP arrive en tête du scrutin général mais recule de 10 points (27 %) et le PSOe (socialistes, 25 %), déjà au plus bas, recule de 2 points.
Le PP devrait toutefois conserver 6 des 9 régions autonomes mises au vote où il était majoritaire. Arrivé légèrement en tête dans les trois autres (Castille, Baléares et Aragon), une alliance entre les listes de Podemos et le PSOe pourrait le mettre en minorité.
Mis à part ses deux morceaux de choix que sont Madrid et Barcelone, Podemos est en nette progression par rapport à ses scores aux européennes de 2014 dans la plupart des 12 régions qui votaient dimanche — +5 points en Asturies (19 %), + 4 points en Castille (9,7 %), +7 points dans la communauté de Madrid (18,5 %). Il double même son score en Aragon (20,5 %). Ciudadanos, le parti citoyen centriste, réalise une avancée modeste, avec son meilleur score dans la communauté de Madrid (12,14 %). 
C’est un signal positif pour la formation anti-austérité, à sept mois des élections générales. Dans un contexte d’extrême volatilité des sondages d’opinion, le rassemblement de Pablo Iglesias avait vu ses intentions de vote s’effondrer depuis janvier 2015, au profit de Ciudadanos. Une affaire d’optimisation fiscale et de financement de l’émission en ligne « Tuerka » avec des fonds en provenance d’Amérique latine, avait placé Juan Carlos Monedero, un cadre du parti, au centre de l’attention médiatique. Il a démissionné le 30 avril en dénonçant les tensions au sein du parti. Régulièrement attaqués sur leurs liens avec les régimes latino-américains, les cadres de Podemos s’attendent à d’autres polémiques de cette nature d’ici au 20 décembre, date limite pour l’organisation des élections générales.

À Barcelone, hormis la droite sortante qui s’effondre, les indépendantistes sortent renforcés du scrutin de dimanche. Une période de haute tension s’ouvre à ce propos en Catalogne, d’ici aux régionales du 27 septembre. Elles ont été convoquées par anticipation par le président libéral sortant de la communauté autonome, qui veut en faire un référendum pour une déclaration unilatérale d’indépendance, après le refus de Madrid de faire voter les Catalans. « Nous sommes dans un moment historique », assure le leader écologiste engagé sur la liste de gauche indépendantiste CUP, Santiago Vilanova. Et la question ne manquera pas de fragiliser l’équilibre précaire de la majorité que compte constituer Ada Colau, notamment avec Podemos, mouvement d’origine madrilène qui ne parvient pas à masquer son malaise sur la question. Les partis indépendantistes toutes tendances confondues pourraient choisir de partir unis sur l’unique question de l’indépendance. Les partis de gauche réfléchissent au contraire à l’opportunité d’une candidature rassemblant la gauche, dans l’élan de « Barcelona en comú ». « Je suis dans un dilemme, avoue Santiago Vilanova, cofondateur d’Alternativa verda. Car je ne veux pas que ce soit la droite libérale qui accomplisse l’indépendance. »


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