Le doute s’installe chez certains néolibéraux

Il faudrait profiter de la crise pour imposer les réformes douloureuses.

Jean-Marie Harribey  • 20 mai 2015 abonné·es

Un spectre hante les néolibéraux : que la croissance économique revienne trop vite et évite d’accomplir les réformes dites structurelles. Tous les conjoncturistes font état d’une légère reprise de la croissance dans la zone euro. N’y aurait-il que 1,3 % d’augmentation du PIB de la zone en 2015, selon les prévisions de la Commission européenne, ce serait déjà encourageant aux yeux de beaucoup d’économistes, même si la hausse de la consommation ne se traduit pas par une hausse équivalente de l’investissement, les entreprises étant en surcapacité de production. Ils se félicitent de la baisse du prix du pétrole, qui réduit les coûts de production, après avoir craint son effet déflationniste. Ils croient déjà voir la baisse de l’euro, consécutive à la politique d’assouplissement monétaire de la BCE, produire des effets de change positifs sur la compétitivité des entreprises. Or, cette influence demande de nombreux mois pour se faire sentir, et les deux tiers du commerce extérieur des pays membres se font entre eux. Tandis que la baisse des taux d’intérêt nourrit les bulles financières plus que l’investissement.

Le doute s’installe donc chez certains néolibéraux, mais d’autres appréhendent la croissance comme un poison [^2], car elle n’incite pas à réformer le marché du travail. Les pays qui ont appliqué l’austérité en plein marasme sont félicités, même si un quart de leur population reste au chômage, comme en Espagne. Ceux qui accomplissent ces réformes en hésitant (de moins en moins !), à l’instar de la France, sont régulièrement tancés par Jean-Claude Junker, Jeroen Dijsselbloem et Pierre Moscovici : il faut profiter de la période difficile pour imposer les réformes douloureuses, et dès que le premier signe d’embellie apparaît, il faut mettre les bouchées doubles avant que tout le monde ne juge ces réformes moins indispensables.

Le temps presse et le FMI l’a bien compris. Il ne commet plus l’erreur sur le multiplicateur budgétaire qui l’avait ridiculisé il y a deux ans [^3]. Lorsqu’elle est entreprise, la baisse des dépenses publiques provoque un effet négatif démultiplié sur l’activité économique globale. Mais, lorsqu’un pays est au fond du trou et qu’il est difficile de comprimer davantage les budgets publics et sociaux, alors peut s’enclencher un effet inverse positif de « stabilisation automatique ». C’est pourquoi le FMI, au sein de l’ex-troïka, est le plus féroce vis-à-vis du gouvernement Syriza en Grèce. Il ne veut passer aucun compromis avec ce dernier, dont il exige une réforme des retraites, la réforme phare, avant que, ayant touché le fond, le noyé ne commence à remonter vers la surface. Malheur si l’emploi repartait un peu !

Les néolibéraux font le choix de casser l’économie et la société tant que leurs réformes n’ont pas été menées à terme. Mais, alors, leur stratégie ne fait pas l’affaire du capital, qui aurait bien besoin de relancer l’accumulation. C’est la contradiction du capitalisme aujourd’hui. Il ne peut faire marche arrière car c’est contraire à sa logique, et il ne peut repartir vite car il est borné par deux contraintes indépassables : pousser trop loin l’exploitation des hommes et celle de la nature. On est presque enclin à rassurer les idéologues néolibéraux : la croissance forte ne reviendra pas. Il faut donc inventer autre chose.

[^2]: « Le poison de la croissance en Europe », Barry Eichengreen, le Monde, 7 mai.

[^3]: Voir les Feuilles mortes du capitalisme, Jean-Marie Harribey, Le Bord de l’eau, 2014.

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