Le moisi et le grand air…

L’intelligence de Podemos est d’avoir su réconcilier l’engagement dans les mouvements associatifs et la politique institutionnelle.

Denis Sieffert  • 27 mai 2015 abonné·es

Apparemment, François Hollande est un homme heureux. Au soir même du scrutin, il a joyeusement commenté le vote des militants du Parti socialiste. Dans son sillage, il a entraîné la plupart des commentateurs : le bon score obtenu par la « motion A », celle que conduisait Jean-Christophe Cambadélis et que le Premier ministre avait signée, confortait la politique du gouvernement. C’était, de l’avis de tous, une victoire de Manuel Valls, une défaite des frondeurs, et un feu vert pour une candidature Hollande en 2017. Tant de bonnes nouvelles un même jour ne pouvaient que combler d’aise le Président ! Du coup, on est presque gêné de jouer les rabat-joie.

Et pourtant, il suffit de rappeler quelques chiffres pour rendre à l’événement sa juste mesure. Le texte gouvernemental a certes recueilli 60 % des voix, mais c’est sur la petite moitié d’adhérents qui s’est déplacée. Et cela, dans un parti qui a perdu le quart de ses effectifs en trois ans… (voir l’article de Pauline Graulle en p. 13). C’est donc un triomphe sur un champ de ruines ! Autrement dit, le courant majoritaire est bien celui des « déçus et des découragés » qui ont quitté le PS sur la pointe des pieds. Voilà ce que nous dit sèchement l’arithmétique. Ajoutons à cela que la motion A, habilement bricolée par le Premier secrétaire, était un modèle de manipulation. Une généreuse auberge espagnole où chacun pouvait apporter sa pitance, et où Manuel Valls, Martine Aubry, et même quelques frondeurs égarés, ou déjà repentis, pouvaient s’asseoir à la table d’hôtes. On y trouvait de quoi encenser le gouvernement et de quoi le critiquer, et même, en prévision, de quoi se mentir avec de nouvelles promesses. Il n’y manquait guère que « mon adversaire, c’est la finance… ». Je souris, mais, à y bien réfléchir, ce n’est pas drôle. Outre que tout cela témoigne d’un naufrage moral, c’est encore la politique qui en prend un coup. On a surtout l’impression d’entrer par effraction dans un petit monde qui sent le moisi.

Car tout à sa joie d’avoir calmé la fronde dans son parti, François Hollande semble ne pas avoir remarqué le sondage qui, le même jour, le donnait battu à plate couture par Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen ou Alain Juppé. Et la quasi-certitude de ne pas figurer au second tour de la présidentielle de 2017. La guerre picrocholine de la rue de Solférino avait éclipsé les vrais enjeux. Preuve que l’on peut circonvenir ce qui reste de militants, mais qu’il est plus difficile de convaincre les Français avec une politique qui tourne le dos à toutes les promesses et aux principes mêmes de la gauche. Et lorsque François Hollande annonce que le temps est venu de la « redistribution », l’incrédulité est totale. Il ne faut pas s’étonner après cela, comme l’ont fait nos confrères du Monde, de la désaffection dont souffrent les partis politiques. Sans aucun doute, les structures anciennes, héritées de la fin du XIXe siècle, sont inadaptées. Assurément, les formes doivent être renouvelées. Mais ni Internet ni les réseaux sociaux ne remplaceront l’essentiel : la confiance dans la parole politique, des projets de société différenciés qui permettent un débat libre, un choix, un fonctionnement démocratique et le sentiment que militer, ou voter, sert à quelque chose. C’est, semble-t-il, tout ce qu’a su recréer Podemos en Espagne. D’où leur percée aux municipales dans les deux principales villes du pays.

L’intelligence des militants de cette formation composite est d’avoir su réconcilier l’engagement dans les mouvements associatifs, dont ils sont issus, et la politique institutionnelle. Voilà pourquoi ce souffle nouveau qui nous vient de Barcelone et de Madrid nous fait du bien. Ada Colau, cette femme qui a conduit la liste citoyenne dans la capitale catalane, est une figure du mouvement des Indignés (voir le reportage d’Erwan Manac’h en pp. 6-8). Elle a été de tous les combats contre la corruption et les expulsions. On ne peut douter ni de sa sincérité ni de son engagement. Cela ne garantit certes pas le succès de sa politique. L’expérience grecque montre combien le combat est rude quand il faut résister aux puissances économiques. Mais les compromis auxquels est contraint Alexis Tsipras n’entament pas pour l’instant la confiance de son électorat. Apparemment, personne de bonne foi ne songe à l’accuser de « trahison ». En France, les conditions sont évidemment différentes. À commencer par des institutions très peu démocratiques. Il y a cependant beaucoup de leçons à tirer des mouvements grecs et espagnols pour la gauche française anti-austérité. En premier lieu peut-être, l’ouverture au monde associatif et à tout ce qui bouge dans la société. L’ouverture qui permet d’élargir le front. En tout cas, il y a un homme qui n’est pas plus rassuré que cela. C’est Jean-Christophe Cambadélis. Rapidement dégrisé du « triomphe » de sa motion, et à la veille d’une réélection non moins « triomphale » à la tête du PS, il a redouté, mardi, de voir apparaître en France un mouvement comme Podemos. Cette hantise a au moins le mérite de la clarté.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

Temps de lecture : 5 minutes