Loi sur le renseignement : les craintes persistent

Dix-huit organisations se sont réunies hier à Paris pour protester contre le projet de loi sur le renseignement adopté aujourd’hui par les députés. Espionnage de masse et dérives autoritaires sont au cœur des inquiétudes.

Omar Belkaab  • 5 mai 2015
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Loi sur le renseignement : les craintes persistent

« On sait très bien que les services de renseignement utilisent des méthodes illégales. Or, quand c’est illégal, on peut faire appel, attaquer en justice. Si ces méthodes deviennent légales, on n’aura plus aucun recours » . Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International France ne cache sa crainte face au projet de loi sur le renseignement.

Quelles mesures seront autorisées ?

Pose de micros et de caméras, logiciels espions et interception de conversation téléphoniques portables. Ce projet de loi compte autoriser le recours à ces techniques par les services de renseignement. Des techniques déjà utilisées par ces derniers qui agissaient, jusqu’alors, dans l’illégalité.

Selon un communiqué du ministère de l’Intérieur, « la France est l’une des dernières démocraties occidentales à ne pas disposer d’un cadre légal, cohérent et complet pour les activités de ses services de renseignement » .

À cela, Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des Droits de l’Homme, répond que cette loi « ne dispose pas d’un contre-pouvoir auquel pourrait avoir recours les citoyens. C’est pourquoi c’est une mauvaise loi » .

Surveillance de masse

Zones d’ombres, flou, incertitude. Les « boîtes noires » prévues par le projet de loi cristallisent toutes les contestations. Et pour cause, elles symbolisent le manque de transparence qui caractérise le projet de loi. Ces « boîtes noires » sont des algorithmes destinés à traiter automatiquement les données sur Internet pour détecter les risques terroristes. Le texte prévoit que « si une telle menace est ainsi révélée, le Premier ministre ou l’une des personnes déléguées par lui peut décider de la levée de l’anonymat sur les données, informations et documents afférents ».

Quels comportements sont considérés comme suspects ? Sur quels éléments se basent ces algorithmes ? Le flou reste entier et les autorités se refusent à communiquer à ce sujet au nom du saint « secret de la défense nationale » .

« Au lieu de cibler les menaces, les services de renseignements vont avoir accès à la vie privée de personnes innocentes » déplore Félix Tréguer, membre fondateur de la Quadrature du Net. Une association rattachée à l’Observatoire des Libertés et du Numérique (OLN).

Contre quelles menaces ?

Le projet de loi justifie la légalisation de ces mesures en érigeant la lutte contre le terrorisme. Mais pas seulement. Il s’agit également de défendre « les intérêts essentiels de politique étrangère, pour lutter contre la prolifération d’armes de destructions massives ainsi que des violences collectives pouvant porter gravement atteinte à la paix publique » .

Un amalgame de motifs justifiant l’usage de ces pratiques qui laissent craindre un bon nombre de dérives aux détracteurs de la loi. Des dérives qui seraient autorisées par « des règlements secrets, appliqués par des tribunaux secrets sur la base d’interprétations secrètes des règles en vigueur, de telles pratiques sapant la confiance du public dans les mécanismes judiciaires de contrôle » , condamne le Conseil de l’Europe dans une résolution adoptée fin avril en réponse aux politiques de surveillance appliquées dans différents pays du continent.

Selon Félix Tréguer, « le rejet de cette loi est hautement improbable et les juges de la Cour européenne des droits de l’Homme [élus par le Conseil de l’Europe] sont aujourd’hui le dernier rempart institutionnel contre l’espionnage de masse » .

Société
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