Meshell Ndegeocello : Une visite de l’oiseau rebelle

Meshell Ndegeocello donne une série de concerts en France. Rencontre avec une artiste libre et imprévisible.

Pauline Guedj  • 7 mai 2015 abonné·es
Meshell Ndegeocello : Une visite de l’oiseau rebelle
© En concert le 15 mai à Coutances, le 20 à Ivry-sur-Seine, le 21 à Clermont-Ferrand, le 22 à Nice, le 23 à Marseille. Photo : Charlie Gross

En swahili, ndegeocello signifie « libre comme un oiseau ». Un nom, en même temps qu’un cahier des charges, que Michelle Johnson a choisi à 17 ans : rester indépendante, ne pas se compromettre pour l’industrie du disque, ne pas se conformer aux catégories imposées par le marché. Depuis vingt ans, Meshell va « là où la musique lui dit d’aller », quitte à perdre ses admirateurs en route et à désorienter les critiques. Elle est versatile, mystique, parfois déconcertante, toujours mystérieuse.

Meshell est née en 1968 à Berlin. Adolescente, elle déménage à Washington, apprend la basse et fréquente les clubs de la ville. Elle est active sur la scène go-go, musique de danse de la région, avec ses claviers, ses percussions et ses paroles déclamées plutôt que rappées, en dialogue avec le public. Meshell perfectionne son jeu «   plus rythmique que virtuose   », travaille sa diction. Jeune adulte, elle s’installe à New York et s’ouvre au jazz et au rock. En 1993 sort son premier disque, Plantation Lullabies, une bombe ovationnée par la critique. La jeune femme devient la protégée de Madonna, une star montante, branchée. Pourtant, dès la sortie du disque, Meshell supporte mal la notoriété. Il lui faudra trois ans pour enregistrer un nouvel album, Peace Beyond Passion, aussi funky et addictif mais avec une pointe de tristesse. La jeune femme se bat contre sa maison de disques, refuse de calibrer les morceaux pour la radio. En promotion, elle annonce que ce disque sera peut-être son dernier : « Je ne renie pas ma musique, mais la pression de l’industrie ne me convient pas. » Peace Beyond Passion marque la fin d’une époque. La renaissance viendra en 1999 avec Bitter .

Des cordes, une voix chantée, suave, des mélodies travaillées, des ballades, un son plus pop. Meshell raconte l’amertume de l’amour, l’humiliation. À sa sortie, le disque connaît un accueil à double tranchant. Pour certains, il est son chef-d’œuvre. Pour d’autres, un égarement. Une part du public se détourne, avec comme principale critique le fait que l’album ne serait pas assez « noir ». Meshell refuse d’être catégorisée. «   C’est très difficile d’entendre que la couleur de ma peau doive affecter le genre de musique que je joue », dira-t-elle. L’album suivant, Cookie : The Anthropological Mixtape, est une réponse ironique à ces critiques. « Vous voulez un album noir, en voilà un ! », semble-t-elle s’exclamer. Tout y est, le funk, les paroles engagées, les lignes de basse appuyées. L’album est une machine à danser mais, derrière l’appareil, se dissimule une dénonciation profonde des identités essentialisées. Au fil des années, les albums de Meshell continueront à troubler l’image de l’artiste entre musique afro-américaine, rock et pop : Comfort Woman et son folk entêtant, The Spirit Music Jamia, un album instrumental qui fait penser aux expérimentations de Miles Davis dans les années 1970 et au Mwandishi d’Herbie Hancock, The World Has Made Me the Man of My Dreams et Devil’s Halo, les albums les plus punks. Plus récemment, Weather renoue avec la fibre mélancolique de Bitter, Pour une âme souveraine rend hommage à Nina Simone et, enfin, Comet, Come to Me, paru l’année dernière, allie pop planante, influences reggae et dub. Dans ce parcours, chaque incursion est une exploration de l’univers complexe de la musique populaire américaine «   où la base de tout est le blues ». Meshell s’amuse, se torture et traverse les genres avec un naturel bluffant.

En concert, Meshell Ndegeocello est aussi aventurière que sur ses disques. Dans les années 1990, ses passages à Paris ont marqué à jamais les passionnés de funk. Elle s’y révélait comme une improvisatrice fougueuse dirigeant de main de maître des musiciens exceptionnels, parmi lesquels Sean Rickman ou Anthony Tidd. Plus récemment, la bassiste a su envoûter un autre public, flirtant sur scène avec le jazz et le rock. Sa voix planante, son jeu de basse précis, la beauté des compositions font de chacune de ses prestations une expérience inédite.

Musique
Temps de lecture : 4 minutes