Nos enfants nous accuseront

Prévalence de l’asthme et des allergies, accroissement des maladies cardiaques et cardiovasculaires… Des médecins lancent l’alerte.

Ingrid Merckx  • 20 mai 2015 abonné·es
Nos enfants nous accuseront
© Photo : CHASSENET / BSIP / AFP

Thomas Bourdrel pédale dans une cuvette. Radiologue remplaçant de 40 ans, il traverse Strasbourg à vélo pour se rendre à ses différents lieux de travail. Or, la capitale alsacienne est située dans une vallée entre les Vosges et la Forêt-Noire, qui, du fait de l’absence de vent, piège la pollution entre ses murs. « C’est d’abord à vélo, avant même mes observations médicales, que j’ai pris conscience de l’impact de la pollution, confie-t-il. Je ne suis pas strasbourgeois d’origine. Avant, je travaillais à Bruxelles, qui connaît une énorme circulation automobile, mais où, du fait du climat, le taux de pollution est inférieur à celui de Strasbourg. » « Pas besoin de détecteur à Strasbourg, renchérit son collègue pédiatre Arnault Pfersdorff. Lors des pics de pollution, on a les yeux et la gorge qui piquent avant que l’alerte ne soit donnée. Je dois prescrire des inhalateurs aux enfants asthmatiques avant les cours de sport. » Quand Paris s’écharpait sur la nécessité de passer à la circulation alternée lors du dernier pic de pollution, mi-mars, Strasbourg avait déjà largement dépassé les seuils tolérés dans la capitale. Des seuils qui ne sont pas les mêmes dans toutes les villes. Et certaines connaissent une pollution plus importante qu’on ne l’imagine. Strasbourg figure dans le quatuor de tête. Le 19 mars, elle était même la plus polluée de France. Pour alerter les pouvoirs publics et la population, le collectif Strasbourg Respire, cofondé il y a un an par Thomas Bourdrel, a lancé une pétition. « Habiter à proximité du trafic routier pourrait être la cause de 15 à 30 % de nouveaux cas d’asthme (et d’allergies) chez l’enfant et, dans des proportions similaires, voire plus élevées, de pathologies chroniques respiratoires et cardiovasculaires chez l’adulte », explique-t-il, études à l’appui [^2]. En quelques semaines, ce texte a été signé par 120 médecins strasbourgeois et d’autres aux alentours. Des libéraux pour la plupart, plutôt jeunes, et de toutes spécialités.

En mars 2013, une trentaine de médecins parisiens avaient lancé un appel comparable. Ils rebondissaient sur les résultats de l’étude Aphekom-InVS de 2011 (voir article précédent, pp. 19-20). « Il faut sortir de la confidentialité de notre cabinet médical, déclarait le docteur Gauthier Desmarchelier, généraliste à Paris. Et dénoncer ce que nous vivons tous les jours à ausculter nos patients. » « Les médecins restent mal informés, regrette Thomas Bourdrel. Les études sur la population française sont trop rares » Il y a bien les dossiers « pollution et santé » de l’Institut de veille sanitaire (InVS). Et des articles parus dans la revue médicale indépendante Prescrire, comme celui qui, en janvier 2006, titrait : « Forte corrélation entre pollution atmosphérique urbaine et mortalité cardiorespiratoire ». Ou celui d’avril 2015 : « Pollution atmosphérique : augmentation de la mortalité par insuffisance cardiaque aiguë ». Si la corrélation est établie, difficile d’imputer le risque à un polluant particulier. D’où l’intérêt de « réduire les niveaux de polluants gazeux et particulaires dans l’air », conseille la revue, qui en fait « un enjeu de santé publique ». Mais combien d’études d’impact de grande échelle ? Les médecins lanceurs d’alerte doivent s’en tenir à faire le lien entre leurs lectures et ce qu’ils observent.

« Plus de cancers du poumon et de la vessie, y compris chez des non-fumeurs, avertit Thomas Bourdrel. Ce sont les mêmes zones du corps qui sont atteintes que pour le tabac. » « Une prévalence des allergies et de l’asthme chez les enfants, et surtout une augmentation chez les très jeunes, voire les nourrissons, note le docteur Pfersdorff. Je parle d’asthme au-delà de trois épisodes pneumo-bronchiques dans l’année. Ces événements sont plurifactoriels. On peut penser à des allergies et à des virus, bien sûr. Mais, dans nos enquêtes, en plus des questions sur l’habitation et le tabagisme des parents, nous interrogeons désormais sur la proximité du lieu de vie avec un axe routier. Nombre de parents d’asthmatiques m’ont dit que leur enfant n’avait pas déclenché de crise lors de vacances en montagne. Certains ont déménagé et la santé de leur enfant s’est améliorée. » Arnault Pfersdorff est impliqué dans une association de quartier qui œuvre pour la prise en compte de l’environnement dans les grands projets de ville, notamment le projet Wacken Europe, qui, prévoyant l’extension du Parc des expositions et du Palais de la musique et des congrès, devrait entraîner une augmentation de 30 % du trafic routier. À Strasbourg, le plan de protection de l’atmosphère (PPA), né des contraintes imposées par Bruxelles, vient d’être réévalué. S’il indique qu’il faut lutter contre l’ensemble des polluants, « c’est principalement en limitant fortement le trafic routier – de 50 % minimum – que nous pourrons respecter les seuils européens », précise Strasbourg Respire, qui entend notamment faire interdire les poids lourds et les vieux bus diesel en centre-ville, mais aussi limiter la circulation de tous les véhicules diesel.

« Les particules fines que nous respirons au quotidien sont nocives pour l’organisme, signale de son côté l’Association santé environnement France (Asef), qui rassemble 2 500 professionnels de santé. Elles progressent jusqu’au bout des voies respiratoires, atteignent les alvéoles et entraînent des maladies pulmonaires. Elles pénètrent ensuite dans la circulation sanguine et provoquent des problèmes cardiovasculaires en bouchant les petits vaisseaux. Au cours de leur voyage au centre de nos corps, elles peuvent déclencher : bronchites chroniques, asthme, cancers du poumon, accidents vasculaires cérébraux (AVC) ou encore infarctus du myocarde. » La prise de conscience chez les professionnels est récente, admet Pierre Souvet, cardiologue et président de l’association. « Déjà, l’impact de la pollution n’est pas enseigné en fac de médecine. Ensuite, il augmente ! » Selon lui, les conséquences sur la santé sont aujourd’hui connues. Ce qu’il faut maintenant, c’est prendre des mesures de santé publique et affiner les connaissances sur le danger des particules fines et secondaires. Pour se protéger, l’Asef conseille d’aérer son logement (tôt le matin et tard le soir), d’éviter les grands axes routiers (en voiture et à pied) ainsi que le sport hors espaces aérés, et de demander à son médecin d’ajuster son traitement en cas de problèmes respiratoires. Et pas seulement pendant les pics, car c’est la pollution chronique la plus dangereuse.

[^2]: Voir sur le site strasbourgrespire.fr

Publié dans le dossier
Pollution : Respirer tue
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