Réforme du collège : La fronde redouble

Alors que la réforme du collège a été imposée par décret, des enseignants continuent de protester contre un texte jugé inefficace.

Ingrid Merckx  • 27 mai 2015 abonné·es
Réforme du collège : La fronde redouble
© Photo : CITIZENSIDE/JEAN-FRANÇOIS GIL/AFP

En imposant par décret une réforme qui faisait déjà grincer des dents dans un corps enseignant majoritairement à gauche, la ministre de l’Éducation a fait grimper la colère. Certains se sont mis en grève le 19 mai ; d’autres, non grévistes, se mobilisent néanmoins contre le texte. Témoignages.

Fabienne Arnal

Prof de lettres, 54 ans, collège Les Amandeirets, Chateauneuf-les-Martigues (13)

J’enseigne depuis trente-deux ans, c’est ma 11e réforme : elle est irréalisable dans les conditions proposées. Les mesurettes imposées par décret ne vont pas freiner les inégalités, mais les accroître en créant de la concurrence entre les établissements avec les 20 % d’autonomie qui leur sont laissés. L’interdisciplinarité, les fameux EPI (8 domaines imposés), c’est très bien si cela se fait en plus de l’enseignement disciplinaire. Mais ces heures d’enseignement complémentaire seront prises sur les horaires disciplinaires (500 heures sur les quatre années de collège). Il y aura autant de formules que de collèges, et les élèves n’auront pas les mêmes possibilités selon l’établissement où ils se trouvent. Les 6e et les 3e perdront une demi-heure de français par semaine en 2016. Comment terminer les programmes, qui sont aussi d’ailleurs sujets à réflexion en ce moment ? Certes, ils feront encore du français dans les EPI, mais ce ne sera pas des connaissances fondamentales ni des programmes nationaux. On a l’impression de se transformer en organisateurs de projets. Les EPI auront tendance à se développer en fonction du territoire : la pétrochimie en ce qui nous concerne, plutôt que les langues anciennes. Les élèves de 6e devront choisir un parcours parmi les huit domaines proposés ; les 5e, 4e et 3e, deux. Combien prendront latin ? Sans compter que les EPI mettent disciplines et professeurs en concurrence : nous sommes six enseignants en lettres pour 600 élèves. Si plusieurs d’entre nous proposent un projet, sur quels critères choisir ? Et qui coordonne ? Je redoute ** que se mette en place un collège à la carte, avec une désertion des élèves que les parents scolarisent dans notre établissement pour ses classes bilangues et le latin. Pas forcément des filières d’élite : ces dispositifs ont été réformés pour que les élèves qui les choisissent ne soient plus regroupés en classes entières mais fondus dans les autres, dans un objectif de mixité et d’émulation. Donc on réduit la mixité mais sans dispositif supplémentaire pour les élèves en difficulté.

Nos élèves sont plutôt issus de classes moyennes aisées, ce qui n’empêche pas que certains décrochent : qu’est-il prévu pour ceux-là ? Des dispositifs d’aide en petit groupe disparaissent au profit de l’accompagnement personnalisé, qui se fera avec le groupe classe (souvent 29 élèves). Si on avait vraiment voulu réduire les inégalités on aurait commencé par réduire les effectifs, on aurait attendu de dresser le bilan de ce qui se fait déjà depuis quelque temps pour en voir les effets sur nos élèves.

Luc Destombe

Prof de mathématiques, 40 ans, collège de 500 élèves dans la Loire

Je suis sorti de mes gonds quand j’ai réalisé ce qui serait supprimé dans les programmes de maths. Disparaît une grande partie de la géométrie plane – les triangles, quadrilatères, etc. La France est l’un des rares pays à l’enseigner, les autres étudient plutôt la géométrie analytique, qui permet de faire des calculs. La géométrie plane permet de construire des raisonnements. Je trouve dommage de s’en passer, même si je me réjouis par ailleurs que la réforme ajoute l’algorithmique : raisonner sur de la programmation informatique. Je suis favorable à l’interdisciplinarité, que nous pratiquons déjà : un projet autour de Galilée permet de croiser maths, physique et histoire. Mais pourquoi nous imposer des heures et mordre sur les connaissances fondamentales ? Aujourd’hui, j’ai quatre heures par semaine avec chaque niveau. Avec la réforme, les 6e gagnent une demi-heure de maths, ce qui n’était pas forcément requis, et les autres perdent une demi-heure, voire une heure, car il faudra retrancher les temps d’aide aux cours. Aujourd’hui nous faisons de l’accompagnement éducatif en plus des heures de cours. Avec la réforme, ce sera pendant et souvent en classe entière. Les classes bilangues permettaient une certaine mixité en attirant en ZEP des élèves que leurs parents vont scolariser ailleurs, notamment dans la Loire, où l’enseignement privé est très développé et abordable.

Plus grave, les 3e perdront entre 3 heures et 8 heures de cours par semaine : les 3 heures de diminution globale à raison de demi-heures par matière, les trois heures de latin, l’heure d’accompagnement éducatif et l’heure d’aide aux devoirs. Ils gagneront… un après-midi à la maison quand maires et parents nous demandent de les garder à l’école. Nous sommes plusieurs à avoir découvert brutalement que la réforme passerait par décret. Nous sommes une trentaine d’enseignants qui ne se connaissaient pas à s’être réunis en réseau pour étudier le texte. Nos analyses sont consultables sur le site : reformeducollege.fr

Julien Calas

Prof de français, collège Pierre-Sémard, Bobigny (93)

Quand on dit que nombre de collégiens arrivent en 6e sans savoir lire, on exagère. J’enseigne en ZEP depuis dix ans : tous les élèves savent déchiffrer à l’entrée en 6e. Par contre, leur lecture n’est pas toujours fluide, le texte n’est pas toujours bien compris… Si, comme le stipule le projet, le cycle 3 (CM1-CM2-6e) doit consolider les acquisitions du cycle 2 en termes d’outils de lecture et d’écriture, je comprends qu’on ait décidé de découper les niveaux en cycles : la 6e étant raccrochée aux deux dernières années d’école élémentaire, cela permettra peut-être une meilleure transition avec le collège.

Ce qui m’inquiète plus, en revanche, c’est la répartition du programme sous la forme de cycles de 3 ans, et non plus par niveau, avec des heures et des contenus « distribuables ». Actuellement, quel que soit son établissement, un élève suit le même programme annuel qu’un autre. Désormais, le programme sera éclaté sur trois ans, et comme les professeurs seront libres de répartir comme ils le souhaitent les points au programme au fil de ces trois années, tous les élèves n’étudieront plus forcément une œuvre de Molière en 6e, par exemple. Si un enfant déménage, il pourrait ne jamais aborder certains points du programme. Que devient l’exigence d’une culture commune pour tous ? Par ailleurs, les programmes seront allégés, donc réduits au minimum obligatoire. L’étude de la langue (et la matière « français » tout entière) est réduite à un simple outil de communication, et non plus considérée comme le moyen fondamental de la construction d’une pensée et d’une culture humaniste. Enfin, les entrées seront thématiques et non plus chronologiques. Mais la dimension chronologique des programmes de français nous permettait des liens avec le cours d’histoire ! Je réponds actuellement à la consultation en ligne lancée par le ministère. Il n’y est quasiment question que de notre degré de compréhension des nouveaux programmes : sont-ils clairs ? Adaptés à la réforme ? Cela ne remplace pas une concertation sur les contenus.

Société
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