« Trois souvenirs de ma jeunesse », d’Arnaud Desplechin : Dans le labyrinthe des souvenirs

Arnaud Desplechin remonte le temps en livrant la jeunesse de son personnage Paul Dédalus.

Christophe Kantcheff  • 20 mai 2015
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« Trois souvenirs de ma jeunesse », d’Arnaud Desplechin : Dans le labyrinthe des souvenirs

Inutile d’être un spécialiste du cinéma d’Arnaud Desplechin pour voir Trois souvenirs de ma jeunesse, présenté la semaine dernière à la Quinzaine des réalisateurs. En même temps, ceux qui connaissent bien sa filmographie en retireront un plaisir particulier. Parce que son nouveau film est un « prequel », un épisode antérieur à une œuvre déjà existante, en l’occurrence Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle). Mais aussi parce qu’il revisite à cette occasion bon nombre des motifs qui peuplent ses films. Ce qui n’est guère surprenant, puisqu’Arnaud Desplechin revient sur ce qui le constitue.

Paul Dédalus a 50 ans (joué alors par Mathieu Amalric). Il doit revenir chez lui alors qu’il a vécu longtemps à l’étranger. La perspective du retour en France agit sur lui à la manière d’un processus proustien : les souvenirs émergent. Et le premier, la séquence la plus courte mais fondatrice, remonte au temps où il avait une dizaine d’années. Sa mère était suicidaire, son père peu à la hauteur. Le petit Paul (Antoine Bui) s’est enfui chez sa grand-mère aimante, qui lui a transmis sa culture juive. Le deuxième souvenir est suscité par l’accueil qui est réservé à Paul à l’aéroport, où il doit justifier de son identité, car il existe un autre Paul Dédalus, détenteur du même passeport. Paul se lance alors dans le récit rocambolesque d’un voyage effectué à Moscou à l’adolescence (il est interprété dès lors par Quentin Dolmaire) en soutien aux juifs réprimés par l’Union soviétique (nous sommes dans les années 1980). Arnaud Desplechin développe une pure atmosphère de roman d’espionnage, où il inscrit un thème qui s’y prête, le double, et la question labyrinthique (« Dedalus ») de qui on est réellement.

Le troisième souvenir, Paul ** n’a pas besoin d’attendre qu’il remonte en lui : il le vivra jusqu’à sa mort. C’est l’histoire d’amour passionnée qu’il a vécue à 18 ans avec Esther (Lou Roy-Lecollinet). Les deux jeunes comédiens qui interprètent le couple sont étonnants, en particulier Quentin Dolmaire, avec sa voix distanciée qui fait penser à Charles Denner. Ce qui ajoute à la manière littéraire dont le cinéaste raconte cette histoire, avec voix off et correspondance, quand les amoureux sont amenés à se séparer. Paul s’exile à Paris pour ses études d’anthropologue, Esther reste à Roubaix. Partir, revenir, être là ou pas : le cinéma d’Arnaud Desplechin s’interroge sans relâche sur la place à tenir.

Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes
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