Affaire Ulcan : l’étrange silence des pouvoirs publics

Le hacker ultra-sioniste s’attaque à des journalistes et des militants du mouvement associatif pour la paix en toute impunité. On ne décèle toujours pas la moindre réaction ni condamnation.

Denis Sieffert  • 22 juin 2015
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Affaire Ulcan : l’étrange silence des pouvoirs publics
© Photo: Grégory Chelli; capture d'écran d'un reportage diffusé dans l'émission «Complément d'enquête» sur France 2, le 25 septembre 2004.

De quels appuis bénéficie le hacker ultra-sioniste Ulcan pour commettre impunément ses attaques contre des journalistes et des militants associatifs ? Apparemment, aucun mandat d’arrêt international n’a été délivré à ce jour contre lui. Le personnage a pourtant pignon sur rue, à Ashdod, dans le sud d’Israël, où il vit. Il se permet même de donner des interviews sur la chaîne I-24 du franco-israélien Patrick Drahi. S’il est manifestement couvert par les autorités israéliennes – pour ne pas dire plus – il profite également d’un étrange silence du côté du gouvernement français. Nous en saurons peut-être plus après notre rencontre avec le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, mardi, place Beauvau où nous nous rendrons avec nos confrères Pierre Haski (Rue89) et Daniel Schneidermann (Arrêt sur images), eux aussi victimes récentes de Ulcan. En attendant, rappelons les faits.

Tout le monde, ou presque, connaît le coupable

Au cours de la nuit du 17 au 18 juin , sans doute à la suite d’un éditorial qui a déplu (voir Politis n°1358), j’ai été harcelé par une série de coups de téléphones, avant de recevoir, vers deux heures, la visite de la police. Détail troublant : certains de ces appels s’affichaient comme provenant de mon propre téléphone mobile. A peu près au même moment, les locaux de Politis étaient visités par les policiers assistés de pompiers qui brisaient une baie vitrée. Le lendemain matin, j’apprenais que Pierre Haski, fondateur du site Rue89, avait connu la même mésaventure : harcèlement téléphonique et intervention policière à son domicile, tout comme la nuit précédente, Daniel Schneidermann, fondateur d’Arrêt sur images.

S’il s’agissait d’un polar, l’intrigue en serait médiocre puisque tout le monde ou presque connaît le coupable. Le hacker ultra-sioniste Grégory Chelli, alias Ulcan, s’est suffisamment vanté de ce genre d’exploits pour que les soupçons se tournent vers lui, même si, dans son interview sur i24, il nie cette fois son implication directe, tout en approuvant l’opération. Ce qui confirme qu’il n’est évidemment pas seul. L’été dernier déjà, il s’était illustré par des dénonciations mensongères qui avaient provoqué des interventions policières au domicile de journalistes. A peu de chose près, le scénario est toujours le même.

En ce qui me concerne, les policiers ont reçu un appel dont j’étais censé être l’auteur affirmant qu’un « individu armé et cagoulé » me retenait en otage à mon domicile. Et une heure plus tard, à l’autre bout de Paris, les policiers recevaient un autre appel les informant que je menaçais ma femme avec une vingt-deux long rifle dans les locaux de Politis . Ce qui a déclenché l’autre intervention au siège du journal.

Pas une seule protestation publique

Dans cette affaire, il y a trois victimes  : le journaliste harcelé à son domicile, la police, bernée par un imposteur et détournée de ses missions, et aussi, et peut-être surtout, la liberté de la presse. Car le but de l’opération est assez claire : il s’agit évidemment de tentatives d’intimidation visant à faire taire la presse dans sa couverture du conflit israélo-palestinien. Et apparemment, ça marche. S’il est évident que ni Haski, ni Schneidermann, ni moi-même n’allons nous laisser intimider par ces provocations grossières, la plupart de nos confrères ont choisi le silence. Rien sur les grandes chaînes de télé et de radio…

A-t-on peur dans certaines rédactions d’être pris pour cibles du hacker ? Ou bien, attend-on un signal des pouvoirs publics – ce qui n’est guère plus glorieux, mais tout aussi plausible ? Car voilà un autre motif d’étonnement : alors que la liberté de la presse a été, à juste titre, exaltée après la tragédie de Charlie Hebdo , il n’y a pas eu cette fois une seule protestation publique, pas un seul mot de condamnation. Gageons que si le hacker était un musulman agissant depuis un pays arabe, et ses cibles des médias connus pour leur soutien au gouvernement israélien, le Premier ministre aurait immédiatement rendu visite aux médias menacés, flanqué du Grand Rabbin de France, du président du Crif, du Recteur de la mosquée de Paris. Nous n’en demandons pas tant.

Un simple communiqué de condamnation aurait fait notre affaire. Et surtout, une information sur ce qui était entrepris par la police et la justice françaises, et par le Quai d’Orsay à l’encontre d’un personnage dont, visiblement, l’action ne déplaît pas au gouvernement israélien. Ses provocations posent un grave problème pour la liberté de la presse. Mais souvenons-nous surtout, qu’il a déjà provoqué, au moins indirectement, la mort d’un homme, le père d’un journaliste de Rue 89, victime d’un infarctus après un canular sordide au mois de septembre dernier. Et les journalistes ne sont pas ses seules cibles.

Ulcan s’attaque aussi au mouvement associatif pour la paix. Le 13 juin, le coprésident de l’Union juive française pour la paix, Pierre Stambul, victime de la même dénonciation mensongère que les journalistes, a reçu la visite du Raid à son domicile marseillais. Une visite particulièrement musclée pour laquelle il n’a eu droit à aucune explication officielle ni à aucune excuse publique. Pas plus d’ailleurs que Jean-Claude Lefort, ancien président de France-Palestine Solidarité, lui aussi cible du hacker d’extrême-droite. Et quelques jours plus tard, le dénommé Ulcan a appelé Pierre Stambul déversant un tombereau d’insanités d’une violence inimaginable, et le visant en tant que juif [^2]. Il m’a été donné d’entendre l’enregistrement de cet appel.

On s’interroge sur les gouvernements qui, de près ou de loin, pourraient encore continuer à couvrir ce genre d’individus. Je ne méconnais jamais l’antisémitisme qui sévit dans notre société, mais il n’y a pas plus sûr pourvoyeur d’antisémitisme qu’une parole aussi abjecte. Et ceux qui gardent le silence, à supposer qu’ils aient de bonnes intentions, se trompent lourdement.

[^2]: Enregistrement disponible sur le site ujfp.org.

Société
Temps de lecture : 5 minutes
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