Du Bois Dormoy à la caserne désaffectée, la journée chaotique des migrants de La Chapelle

Plus de 130 migrants ont occupé une caserne désaffectée de Paris avant d’accepter les places d’hébergement proposées par la mairie. Reportage.

Vanina Delmas  • 12 juin 2015
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Du Bois Dormoy à la caserne désaffectée, la journée chaotique des migrants de La Chapelle

À l’ombre des arbres du Bois Dormoy, un sentiment d’être dans l’œil du cyclone. Une trêve appréciée par les migrants après les expulsions à la chaîne qui les ont traumatisés et désorientés.

Mais le jardin partagé du XVIIIe arrondissement grouille de monde ce jeudi après-midi. Journalistes, photographes, associations et élus défilent devant les migrants abasourdis. Des bénévoles passent de matelas en matelas pour leur expliquer qu’ils doivent ranger leurs affaires et quitter une fois de plus leur campement. Car l’association du Bois Dormoy qui a ouvert spontanément son jardin après l’évacuation de la halle Pajol ne peut plus assumer ce rôle humanitaire.

Le mur de l’entrée du Bois Dormoy est couvert de messages. - Photo : V. Delmas

« On a ouvert pour les accueillir dans la nuit mais c’est une solution provisoire , lance Thomas Augeais, président de l’association. On est complètement débordés et pas équipés pour les soigner. »

Parmi les 130 expatriés, certains sont atteints de la gale, d’autres de la tuberculose. Des médecins du quartier se sont portés volontaires pour les examiner, mais ces conditions d’hébergement ne sont pas assez saines. Les sacs d’ordures et d’excréments s’entassent dans un coin, à côté de la seule toilette sèche du jardin.

Solidarité de quartier

Ibrahim observe l’animation autour de lui et attend. « Je cherche juste à avoir une situation correcte , bafouille-t-il en arabe. Je veux rester en France toute la vie. »

Comme la plupart de ses compatriotes, il a fui le Soudan. Après être resté deux ans en Libye, il a suivi le chemin de croix des migrants soudanais en passant par l’Italie puis la France, il y a deux mois. Et maintenant, il ne sait pas où il sera ce soir.

La ruelle est bondée de monde. « C’est un premier échec pour l’Etat car malgré les expulsions et les violences à répétition, on ne se décourage pas. Le gouvernement ne fera pas disparaître les migrants d’un claquement de doigts » , s’insurge Eric Coquerel, secrétaire national du Parti de gauche.

Les migrants prennent la tête du cortège jusqu'à la caserne désaffectée. - Photo : V. Delmas

Assis sur un trottoir, au milieu de la foule, un couple explique à Rachid, un jeune Soudanais de 18 ans, comment faire une demande d’asile. « Nous l’avons rencontré hier et on a sympathisé. On l’a accompagné à France terre d’asile pour qu’il ait une domiciliation et qu’il fasse sa demande d’asile, mais il devait attendre le 28 juillet pour avoir un rendez-vous ! On a donc décidé de lui faire nous-même un certificat de domicile» , raconte Caroline.

Elle lui tend alors les précieux documents et lui répète en anglais qu’il peut l’appeler quand il veut. La solidarité de quartier saute aux yeux, à défaut des solutions de la mairie de Paris.

« On se retrouve dans une souricière ! »

Il faut attendre 17 heures, quelques minutes avant le départ, pour que la première proposition de la mairie arrive : 45 places sont disponibles à Nanterre. Et les premières tensions politiques apparaissent.

Deux élus communistes avaient convaincu quelques migrants d’accepter et les avait conduits discrètement au bus. Mais des militants d’extrême-gauche les ont rattrapés pour les persuader de renoncer.

Même querelle lors de la marche jusqu’à l’étape suivante. Tandis que les élus PCF et Verts se dirigent vers la petite rue du Département, des militants du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) entraînent le cortège vers la caserne désaffectée de Château-Landon.

« On s’était mis d’accord pour les conduire au jardin d’Eole et mettre la municipalité face à ses responsabilités, peste Julien Bayou, porte-parole d’EELV. Au lieu de ça, on se retrouve dans une souricière ! »

Les CRS encerclent rapidement le site et les portes de la caserne se referment avec la majorité des migrants et des soutiens bloqués. A l’intérieur, l’Armée du salut servait des repas aux sans-abris qui doivent être évacués par la petite porte.

« À cause de vous, on n’aura pas à manger aujourd’hui » , crie un sans-abri à la foule. Le dircab d’Anne Hidalgo négocie ardemment avec les délégués des migrants, passe des coups de fil, revient les voir et leur propose finalement 110 places. C’est plus du double de la promesse de l’après-midi. Les cris de joie retentissent et certains esquissent quelques pas de danse au milieu du sit-in improvisé.

Les migrants manifestent leur joie d'être hébergés pour la nuit. - Photo. V. Delmas

À l’extérieur, l’ambiance est plus tendue. Certains migrants entrent dans la caserne par les fenêtres tandis que, de l’intérieur, des militants jettent des projectiles sur les forces de l’ordre.

Les CRS sortent les matraques et les bombes lacrymogènes pour les faire reculer. Ce face à face rythmé par une fanfare qui joue en boucle Bellaciao prend fin vers 23 heures, quand les migrants acceptent la proposition de la mairie.

Les CRS chargent les manifestants restés à l'extérieur de la caserne. - V. Delmas

Une victoire en demi-teinte car une trentaine de migrants n’ont pas été pris en charge et ont passé la nuit dans un jardin municipal.

« Il y en a encore 30 sur le carreau et c’est préoccupant car le grand moment médiatique est passé, s’inquiète Julien Bayou. La mairie ne peut pas tout faire, c’est à l’Etat d’assumer sa part au lieu de laisser pourrir la situation. »

Une question qui est loin d’être résolue car un autre camp d’environ 200 migrants près de la gare d’Austerlitz connaît la même détresse que ceux de La Chapelle.

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