Grèce : « Retraité, j’ai perdu 1 300 euros d’un coup »

Les institutions européennes continuent d’exiger du gouvernement des restrictions sur les retraites, alors qu’elles font souvent vivre plusieurs membres de la famille. Correspondance à Athènes, Angélique Kourounis.

Angélique Kourounis  • 24 juin 2015 abonné·es
Grèce : « Retraité, j’ai perdu 1 300 euros d’un coup »
© Photo : GOULIAMAKI / AFP

Madame Myrtho, 76 ans, habite dans le quartier cossu de Philopapou, au pied de l’Acropole. Institutrice, elle touche une petite retraite de 450 euros, car elle a arrêté de travailler très tôt pour s’occuper de ses quatre enfants. Grâce aux 2 500 euros de la pension de son mari, médecin, elle a pu vivre quelques belles années, voyager, gâter ses petits-enfants et ses filles. Puis, en 2012, elle a perdu d’un seul coup 1 300 euros.

« À côté de ce que touchent les autres, je suis privilégiée », reconnaît madame Myrtho, mais, avec l’augmentation de 52 % des impôts immobiliers et, surtout, la nouvelle taxe immobilière Enfia, la maison familiale au village, dans le Péloponnèse, et son appartement sont devenus des fardeaux. « Je ne peux plus payer les impôts immobiliers, confie-t-elle, mais je ne peux pas vendre ma maison car le marché s’est effondré, et puis personne n’achète. » Du coup, elle a loué son appartement à des amis de ses enfants, à un prix très modique, « juste pour payer les impôts et les frais de la maison » .

Les retraites en Grèce se composent d’une retraite principale et d’une complémentaire, financée par une caisse sectorielle selon l’emploi occupé. Ceux qui touchent moins de 8 472,09 euros par an reçoivent l’EKAS, une aide supplémentaire de 57,50 euros mensuels, instituée en 1996 par le gouvernement du Pasok.

En 2014, 195 000 personnes bénéficiaient de cette prime pour un coût total annuel de 630 millions d’euros. Le gouvernement grec refuse de la faire disparaître d’ici à 2016, mais accepte en revanche de freiner les départs en retraite anticipée, qui, en raison des mesures d’austérité, ont explosé : +14 % dans le secteur privé et +48 % dans la fonction publique. En 2010, l’âge légal de départ en retraite était de 65 ans ; un an plus tard, il passait à 67 ans, soit la moyenne européenne. Cependant, au premier trimestre 2015, selon la base de données Helios, environ un nouveau retraité sur deux avait moins de 61 ans.

La Grèce compte 3,5 millions d’actifs, 1,5 million de chômeurs et 2,6 millions de retraités, dont 17 % vivent dans une misère absolue.

Madame Myrtho a donc dû déménager chez sa fille Ourania, qui, avec ses sœurs, se partage sa pension. Celle-ci tombe à pic, car elles aussi ont vu leurs revenus baisser de près de 60 %. Maintenant, le revenu de la vieille dame, qui a encore baissé en 2013 et en 2014, sert à combler les imprévus de ses filles. Ourania énumère, gênée : « Nos impôts, la TVA des gendres, tous en profession libérale, les cours particuliers des petits-enfants, l’assurance de la voiture ou même un cinéma pour nous. Il ne reste plus rien pour elle. » Mme Myrtho l’arrête d’un geste tendre : « Je suis heureuse ici, et je peux faire tous les jours des gâteaux aux petits. » De fait, une pasta flora (spécialité grecque aux fruits) embaume la maison.

Chez Panayiota Makris, 72 ans, c’est le kokkinisto (ragoût de bœuf) qui chatouille les narines. Comme tous les dimanches, dans son petit appartement du quartier désormais défavorisé de Kato Patisia, à Athènes, elle cuisine pour son fils, professeur de physique dans un lycée professionnel, et sa fille, enseignante d’anglais dans des boîtes de bachotage.

« Je me suis privée toute ma vie pour qu’ils puissent faire des études, qu’ils soient instruits et libres. Pour quel résultat ? Ni l’un ni l’autre ne peuvent subvenir aux besoins de leur famille, s’emporte Panayiota. Ils ont étudié des années et, à cause de ces foutus mémorandums, ils ne gagnent pas plus que ce que je gagnais moi en tant que femme de ménage. Si ce n’est pas malheureux ! » Sa petite-fille, qui porte, comme le veut la tradition, le même prénom que sa grand-mère, adore le fromage, un luxe que sa maman ne peut lui offrir avec ses 890 euros de salaire. Alors c’est Panayiota, avec sa petite pension de 580 euros, qui l’achète, « comme l’huile d’olive, la viande, le poisson et tous les imprévus », ajoute amèrement sa fille. Le mari de Panayiota, ancien ouvrier des chantiers navals de Skaramanga, a pris sa retraite en 2009. Un an plus tard, il touchait 1 400 euros de retraite. Un exploit, vu les dysfonctionnements chroniques de l’État grec ! Les retraités attendent deux ans en moyenne pour recevoir leur premier chèque. Actuellement, d’après les chiffres du gouvernement, 400 000 attendent d’être payés.

En 2012, la retraite de Theodore Makris est tombée à 1 050 euros. Le Conseil d’État a déclaré illégales les baisses de 2012, aussi espère-t-il retrouver ses 1 400 euros. Cela ne serait pas du luxe, car le couple doit aussi entretenir son benjamin, Haris, graphiste de 27 ans, au chômage depuis quatre ans. Autant dire que quatre foyers dépendent de ces quelque 1 600 euros de retraite, et ce cas de figure se répète dans tout le pays pour toutes les couches sociales. Selon un rapport de la Fédération des commerçants et des artisans, en 2014, près de la moitié des ménages grecs vivent de la pension d’un membre de leur famille. « Les retraites sont le filet de sécurité de la société grecque, martèle Dimitris Papadimoulis, ministre en charge du dossier. Sans elles, il y aurait des SDF sur tous les trottoirs. » Athanase Contargyris, économiste, confirme et demande : « Est-ce le moment de les réduire [comme l’exigent les institutions européennes, NDLR], alors que ces retraites, même les plus maigres, font vivre les foyers des enfants et des petits-enfants au chômage ? » Question d’autant plus cruciale qu’en Grèce il n’y a aucun filet de sécurité pour les accidentés de la vie. Ici, ni RSA ni CMU.

D’où les inquiétudes de Mathos, 82 ans. Il touche 280 euros par mois. Les bombardements des Alliés en 1945 sur les îles grecques, dont la sienne, Syros, lui ont coûté son bras et un œil. Il avait 13 ans. Il ne s’est pas marié, de peur de ne pas pouvoir faire vivre une famille et, la plupart du temps, il a travaillé au noir à cause de son infirmité : « J’étais déjà bien content de trouver un boulot, alors je n’allais pas en plus demander des cotisations à mes employeurs. » Sa retraite est une sorte de pension de survie donnée à ceux qui n’ont rien, via l’ancienne caisse de retraite des agriculteurs, l’OGA. Mathos, qui fait partie des 17 % de retraités grecs dans la misère absolue, tremble de perdre son seul revenu.

Pour Savas Rombolis, directeur de l’Institut du monde du travail, les coupes imposées aux caisses de retraite n’auront aucun effet tant que le pays sera en récession : « Il faut des cotisations, qui ne peuvent venir que si on relance l’économie, pas des coupes claires. » La fondation allemande Hans-Böckler, proche des syndicats, a publié au printemps dernier un rapport tirant les mêmes conclusions. Stavros Zographakis, de l’université agricole d’Athènes, qui a participé à sa rédaction, alertait : Nous avons en Grèce « une population active peu nombreuse touchant des petits salaires qui financent les pensions d’un nombre de retraités de plus en plus important. Jusqu’à quand ? » Les caisses de retraite sont dans le rouge, avec un déficit pour 2015 de plus de 2 milliards d’euros. D’où les coups de boutoir des créanciers, FMI en tête, pour que le pays applique dans ce secteur une réforme dont le seul but est non pas un système plus juste et viable, mais des comptes à « zéro déficit ». Ce qui, au passage, n’existe dans aucun pays européen.

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