Philippe Val : le néoconservateur

Pauline Graulle  • 10 juin 2015 abonné·es
Philippe Val : le néoconservateur
© Photo : AFP PHOTO / PIERRE VERDY

On avait connu Philippe Val chansonnier talentueux, directeur et éditorialiste – parfois inspiré – de Charlie Hebdo, patron honni de France Inter, ami du couple Sarkozy… Sept ans après son essai appelant Voltaire à la rescousse [^2], le chevalier blanc de la liberté d’expression – nonobstant « licencieur » de Siné, Stéphane Guillon et Didier Porte – revenait sur le devant de la scène en janvier pour pleurer ses  « amis » de Charlie. Persuadé que « les terroristes ont gagné », il publiait dans la foulée un ouvrage au titre pompeux, Malaise dans l’inculture [^3], qui a donné lieu à une couverture médiatique rarement vue [^4] et n’aurait pas mérité plus qu’un méchant dessin d’Aurel dans Politis (n° 1349) s’il n’offrait à ses lecteurs (nombreux : déjà 12 500 exemplaires vendus) la quintessence de l’idéologie réactionnaire.

Une pensée à laquelle les attentats des 7 et 9 janvier « apportent une confirmation tragique », affirme d’emblée l’auteur. Et qui se résume à un monceau de poncifs prétendument anti-système (de « la crise de l’autorité » aux « commissaires des slips » qui veulent pénaliser les clients de la prostitution en passant par ces rappeurs qui « hurlent dans des sonos surpuissantes » ). Val, qui réaffirme au passage être de gauche, s’emploie surtout à déplorer une France tout acquise à l’islam – fichtre, on expose des représentations de femmes voilées au Mucem de Marseille ! « Exaltez la culture orientale, vous captez l’intérêt […]. Exaltez la culture occidentale, vous êtes conservateur, limite fasciste », se lamente celui qui n’a pas assez de 300 pages pour dénoncer le « deux poids deux mesures » dont seraient victimes les Juifs, au profit de ceux que leur « situation » (sic) de musulmans des quartiers sensibles mettrait « à l’abri de toute suspicion ». La mère de tous les maux ? Le « sociologisme », néologisme censé désigner ces sociologues biberonnés à Rousseau et à Marx, dont Bourdieu est le « prophète ». Héritée de « la mystique de l’Égalité », cette « sociologie gauchisante », outre qu’elle conduirait au laxisme en considérant les pauvres comme « des abrutis » (parce qu’incapables de fournir des « efforts personnels » ), ferait le lit de cette gauche « majoritaire », antilibérale, anti-américaine, antisioniste et antisémite. Pis, ces sociologues « nous expliquent – et ce faisant encouragent et justifient les violences à venir – [que le terrorisme est] un problème social ». Bourdieu-Merah, même combat ! Lire aussi ce grotesque passage sur l’écologie, rassemblement de « bucoliques primitifs » dessinant un monde où, « dans (sic) l’école, on se contente d’apprendre à distinguer un chêne d’une laitue ; dans l’hôpital, on soigne le sida et le cancer avec de la camomille, et l’anesthésie, c’est un bâton qu’il faut serrer entre ses dents ». À un moment, l’auteur raconte qu’il a croisé un jour une « vieille amie », députée européenne verte, qui lui a parlé de Notre-Dame-des-Landes : « Je ne comprends rien à son argumentaire », avoue-t-il. Au reste non plus, peut-être ?

[^2]: Voltaire, reviens, ils sont devenus fous !, Grasset, 2008.

[^3]: Grasset, 2015.

[^4]: Une matinale entière chez ses anciens salariés de France Inter, mais aussi des passages sur France Culture, au « Grand Journal », à « C à vous », et des articles dans le Figaro, le Point, Libé, les Inrocks…

Publié dans le dossier
Enquête sur les réacs de gauche
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