Pollution aux Antilles : Amères sargasses

Un nombre croissant des îles de la Caraïbe est envahi d’algues brunes. Aux Antilles françaises, où le tourisme est affecté, les autorités sont débordées et désabusées.

Patrick Piro  • 26 août 2015 abonné·es
Pollution aux Antilles : Amères sargasses
© Photo : Les côtes de la Guadeloupe envahies par les sargasses, le 9 juin. MOREL/CITIZENSIDE/AFP

En Guadeloupe et en Martinique, la carte postale a pris un sacré coup de sépia depuis le printemps. De plage en plage, la mer vient périodiquement déposer d’énormes radeaux d’algues brunes sur les eaux transparentes et le sable blond. Les formations, qui peuvent s’étendre au large sur plusieurs centaines de kilomètres carrés, sont composées de deux variétés de sargasses flottantes.

On a d’abord pensé que l’explosion de la production de sargasses provenait de la mer éponyme, au large des États-Unis. Mais les courants circulaires interdisent l’évasion massive d’algues. Plus récemment a été identifiée, au large de l’embouchure de l’Amazone, une « petite mer des sargasses » qui alimenterait la pollution de la Caraïbe via la circulation océanique nord-équatoriale. Si les nutriments semblent provenir des sédiments charriés par le Congo, l’Amazone et les vents sahariens, les chercheurs relèvent surtout des anomalies océaniques récentes (températures, courants, etc.), « qui pourraient signaler de plus grandes fluctuations de la dynamique des écosystèmes régionaux, notamment en lien avec le dérèglement climatique », indique une note émise en février dernier par les services de l’environnement (Dreal) de la Guadeloupe.

Le phénomène se manifeste depuis 2011, mais il a pris cette année des proportions telles que le niveau de nuisance atteint celui des épisodes d’algues vertes en Bretagne. Dans certaines anses, les paquets s’amoncellent, parfois depuis février, pour atteindre jusqu’à trois mètres d’épaisseur. Ils se décomposent ensuite en dégageant du sulfure d’hydrogène à l’odeur caractéristique d’œuf pourri. Les cadavres de poissons pris au piège de cette mélasse remontent le ventre à l’air, accentuant la puanteur. « C’est la panique, les collectivités sont dépassées, les autorités s’affolent », constate l’avocat écologiste Harry Durimel, à Pointe-à-Pitre. Les Antilles françaises ne sont pas les seules touchées. Presque toutes les îles de l’arc Caraïbe se plaignent de l’invasion des sargasses. Un déferlement qui remonte jusqu’au Mexique, avec des conséquences négatives pour le tourisme, activité névralgique pour l’économie de la région. Exposée aux flux d’est, la commune de Capesterre-de-Marie-Galante est l’une des plus affectées de Guadeloupe. « Nous vivons au rythme des échouages de sargasses. Les quantités ont certes tendance à diminuer, mais il en arrive tous les jours », soupire Claude Mandil, maire adjoint. Dans la plupart des communes de l’archipel, c’est le même constat d’impuissance : « C’est catastrophique. On nettoie, et le lendemain il faut tout recommencer, témoigne-t-il. Nous sommes dépassés, on n’agit plus qu’au coup par coup. Nous avons fini par baisser les bras. »

L’élu s’inquiète des atteintes sanitaires de la pollution de l’air. « Des problèmes pulmonaires, des cas d’allergie permanente, assez fréquents… Nous avons enregistré deux hospitalisations. » Les autorités font aussi état d’irritations des yeux et de la gorge consécutives à la fréquentation des plages polluées par les sargasses. « Les émanations sulfurées détériorent le matériel informatique et corrodent des métaux », rapporte encore Claude Mandil. Les tapis bruns entravent par ailleurs la reproduction des tortues marines et étouffent les végétaux côtiers, qui n’ont plus accès à la lumière. L’assaut saisonnier des sargasses s’était manifesté dans une relative indifférence du gouvernement les années précédentes. L’ampleur des échouages en 2015 a suscité une interpellation forte des îliens dès le printemps, notamment à l’occasion de la visite aux Antilles du président de la République et de la ministre de l’Écologie, en mai dernier. Un premier plan d’urgence avait annoncé près d’un million d’euros d’aides ainsi que la création de « brigades vertes » pour nettoyer les plages. À Capesterre-de-Marie-Galante, on n’avait encore rien vu arriver fin juillet. « Cette année, la facture des interventions devrait dépasser 150 000 euros pour la commune », estime Claude Mandil. Une pelleteuse, diligentée par la Région, a pioché les sargasses pendant une semaine puis elle est repartie. Capesterre-de-Marie-Galante s’impatientait aussi de voir arriver les « contrats sargasse » promis, personnel affecté au ramassage des algues. Les communes ont le sentiment d’être renvoyées à leur problème. « On en est réduit à organiser des opérations “koudmen” [coup de main] pour dégager la côte. »

Fin juillet, le gouvernement annonçait un renforcement de la lutte, débloquant deux millions d’euros supplémentaires pour la collecte des sargasses. Mais il a annoncé les grandes manœuvres de son « Plan sargasses » pour l’automne, période où l’échouage saisonnier des algues devrait prendre fin. Une mission interministérielle est attendue aux Antilles dans le but d’organiser une filière de ramassage, de stockage et de traitement des algues. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) a lancé pour 1,5 million d’euros d’appels à projets pour la valorisation de cette matière organique – transformation en engrais notamment. Les collectivités ne bénéficieront cependant pas de la reconnaissance d’état de catastrophe naturelle, en dépit de la demande insistante des élus antillais. Un refus que François Hollande a justifié fin juillet par la périodicité du phénomène, ainsi que l’existence probable de « responsabilités » qu’il « faudra établir » (voir encadré). La pollution aux sargasses a ainsi acquis le statut de problème international. Le gouvernement a lancé d’idée d’une conférence réunissant les représentants des États de la Caraïbe touchés par les algues brunes. Elle pourrait se tenir avant la fin de l’année, ce qui la situerait opportunément dans le sillage de la conférence climatique de Paris, alors qu’il y a des raisons de croire que cette explosion végétale est en partie provoquée par une modification des conditions océaniques sous l’effet de l’accumulation des gaz à effet de serre.

Écologie
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