Yann Moix, tête à tacles

L’écrivain débarque dans l’émission de Laurent Ruquier « On n’est pas couché ». Un couronnement pour une grande gueule narcissique et polémique.

Jean-Claude Renard  • 26 août 2015 abonné·es
Yann Moix, tête à tacles
© Photo : FEFERBERG/AFP

«On n’est pas couché » (ONPC), sur France 2, s’est toujours attaché les services de journalistes. Éric Zemmour et Michel Polac pour commencer. Puis le même Zemmour et Éric Naulleau jusqu’en 2011, remplacés par Natacha Polony et Audrey Pulvar. C’est ensuite au tour d’Aymeric Caron, en provenance d’i-Télé et d’Europe 1, de succéder à Pulvar. En 2014, Léa Salamé prend le siège de Natacha Polony. Tous journalistes, donc. En cette rentrée, Laurent Ruquier, chef d’orchestre de l’émission, et Catherine Barma, productrice, ont changé leur fusil d’épaule. Yann Moix prend la place d’Aymeric Caron. Moix n’est pas à proprement parler un journaliste. Il est avant tout écrivain. Formé à Sciences Po, passé par une école de commerce, il publie son premier roman, Jubilations vers le ciel, en 1996. Prix Goncourt du premier roman à la clé. En 2013, tombe le Renaudot pour Naissance. Entre-temps, il signe d’autres romans (tous chez Grasset) et réalise deux films : Podium (adapté de son roman éponyme), articulé autour de la célébrité de Claude François, et Cinéman. Déboutés par la critique, le premier est un succès commercial (dont une suite est en préparation) et le second essuie un revers justifié.

Parallèlement, l’écrivain anime des séminaires pour la revue la Règle du jeu (dirigée par Bernard-Henri Lévy), consacrés à Kafka, Ponge, Bataille et Péguy. Il a œuvré aussi aux pages culture de Marianne, puis au Figaro littéraire, collaborant à divers hebdos. Érudit, cultivé, Moix, c’est le moins que l’on puisse dire. Citant au débotté Dali ou Adorno. Bosseur patent. Intelligent prolixe, dispersé aussi. Il y a chez lui du François Nourrissier et du Jean d’Ormesson d’un autre temps, mâtinés de Jean-Edern Hallier, avec des pigments de Zemmour (sans la « ligne pathologiquement, névrotiquement anti-arabe » de ce dernier). Le tout-en-un. Au reste, on l’aura remarqué, jusque-là, Ruquier avait fait le choix d’un polémiste marqué à droite et d’un autre estampillé à gauche. « Je suis un mec de droite qui est très souvent à gauche », se défend-il (magazine GQ ). C’est pratique.

Yann Moix est aussi et d’abord un proche de BHL, un fidèle, dont il reconnaît qu’il l’a lancé, en 1994 (ce qui vaudra au second, des années plus tard, une critique complaisante pour son film le Jour et la Nuit, signée par le premier, bien seul à trouver matière à louanges), traînant avec lui quelques polémiques. Prenant notamment le parti de Roman Polanski contre la Suisse, traitée de «  Gestapoland  », ou accusant les cinémas Utopia d’antisémitisme (« les Brasillach d’aujourd’hui ») à la sortie du film palestinien d’Elia Suleiman Le temps qu’il reste – il sera condamné, avec le   Figaro, pour « délit d’injure publique ».

Moix est un habitué des médias. Sur Europe 1, il est (déjà) dans la bande à Ruquier dans « On va s’gêner », avant de suivre l’animateur sur RTL aux « Grosses Têtes », tout en occupant une place de chroniqueur récurrent sur i-Télé, à la manière de ces intempestifs qui viennent commenter l’actualité sur les chaînes d’info en continu. Comme eux, Yann Moix a un avis sur tout. Surtout un avis. Avec la volonté manifeste de ne pas être d’accord, un ton souvent arrogant. Agaçante tête à claques. Il le sait, sans doute. Il en joue, sûrement, bien satisfait de ne pas plaire à tout le monde. Se cabrant vite à la résistance, s’emportant, briquant l’outrance, provocateur. Le bon client télé en somme.

Dès fin avril et l’annonce de son arrivée chez ONPC, les entretiens se sont succédé (conjugués à la sortie de son dernier opus littéraire, Une simple lettre d’amour ), virant, comme toujours, au « Moix je », dénonçant le parler-de-soi des écrivains et des chroniqueurs mais ne faisant pas autre chose (l’auteur dit souffrir d’une « timidité alliée au trac »  ; Modiano, lui, n’a toujours pas trouvé les mots). Où l’on apprend (Voici) qu’il est « inadapté à la famille », confiant sa hantise « des liens du sang » et son refus d’avoir des enfants (« Ce serait la pire chose qui pourrait m’arriver » ). Soit. Ou encore que sa librairie parisienne fétiche est Amazon (France Inter). Où l’on découvre surtout son regard sur sa prochaine fonction.

Chez Ruquier, Moix ne fera assurément pas du Caron, taclé sans fair-play, dépeint en « spécialiste de l’agroalimentaire », se revendiquant aussi « moins caricatural [que lui] avec la cause palestinienne, parce que c’est con de choisir un camp et de s’y tenir quoi qu’il arrive ». S’il entend « s’assouplir quand vont venir les créateurs, même s’ils ne sont pas bons, prévient-il dans Technikart (lui-même, de l’autre côté du manche, avait dérouillé sous la critique d’Éric Naulleau), je vais me défouler sur les essais de manière très tenace et pointue. Y en a qui vont morfler ! » Curieuse et à la fois très conformiste manière d’envisager la fonction. Sur RTL, il précise : « Je ne tricherai pas et ne ferai rien pour provoquer le buzz. » Éviter le buzz, le clash ? Diable ! Parions que Laurent Ruquier mise là-dessus. Que n’a-t-il pas, alors, refusé sa proposition de participer à une émission, au faîte de l’exposition médiatique, où les invités en quête de promotion viennent en sado-maso subir les jeux du cirque ?

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