Arabie saoudite : « Toute dissidence est vécue comme du terrorisme »

Spécialiste du monde arabe, Olivier Da Lage analyse le nouveau durcissement de la monarchie.

Denis Sieffert  • 30 septembre 2015 abonné·es
Arabie saoudite : « Toute dissidence est vécue comme du terrorisme »
Olivier Da Lage Journaliste à RFI. Auteur de Géopolitique de l’Arabie saoudite (Complexe).
© SPA/HO/AFP

Menaces de décapitation pour délit d’opinion, tragédie de La Mecque, crise syrienne, terrorisme, antagonisme sunnisme-chiisme, l’Arabie saoudite est au centre de toutes les actualités. Olivier Da Lage propose ici un éclairage sur un régime particulièrement opaque.

Le régime saoudien n’est-il pas de plus en plus fermé et répressif ?

Olivier Da Lage : Il y a une dizaine d’années, le prince Abdallah, devenu roi en 2005, avait permis l’ouverture d’un certain nombre de forums. Il avait reçu des pétitionnaires et on trouvait des informations sur le pays. Mais cela s’est refermé avec le printemps arabe, qui a beaucoup inquiété le régime. Le roi Salmane, qui a succédé à Abdallah au début de l’année, a donné des signes encore plus durs, les exécutions se sont multipliées, et la tendance est à la répression pour tous les secteurs de l’opinion. On a criminalisé tout ce qui ne soutient pas la monarchie.

Il n’y a donc aucune possibilité d’expression d’une société civile…

C’est en Arabie que l’on trouve la plus forte proportion, pour la région, d’utilisateurs de Twitter et de Facebook, même si certains ont eu de sérieux problèmes.

Mais peut-il exister une structuration de la contestation ?

Non. La structuration ne peut intervenir que si elle prend des aspects non politiques : dans le monde des affaires par exemple. Du temps d’Abdallah, le roi avait envoyé des signaux, notamment dans le sens du droit des femmes, et cela contre l’avis du prince Nayef, alors ministre de l’Intérieur. Il est presque surprenant que le droit de vote des femmes, qui avait été décidé du temps d’Abdallah, ait été mis en œuvre. Mais il ne faut pas en exagérer la portée, puisque les électeurs n’éliront qu’un tiers des élus des municipalités. Et les candidatures ne se font jamais sur des bases politiques, mais tribales. Je serais donc étonné qu’il y ait beaucoup de femmes élues, s’il y en a. Au total, on assiste à un grand retour de la chape de plomb, car toute dissidence est vécue comme du terrorisme.

Pensez-vous que le régime puisse être sensible à la pression internationale ? On pense évidemment au sort du jeune Ali Al-Nimr, condamné à mort pour avoir critiqué le régime.

Je suis convaincu que oui, même si le régime prétend toujours le contraire. Si Ali Al-Nimr est sauvé, ce sera très certainement en raison des pressions exercées au niveau international.

Est-ce que la brouille avec Obama sur le dossier du nucléaire iranien peut remettre en cause le pacte scellé avec les États-Unis depuis 1945 ?

On aurait pu le penser, parce que les Saoudiens étaient violemment opposés à ces négociations entre les États-Unis et l’Iran. Mais Obama a clairement fait savoir, lorsqu’il a réuni tous les monarques du Golfe en mai à Camp David, qu’il ne tiendrait pas compte de leurs protestations. Et, à la différence d’un Netanyahou qui continue de protester, les Saoudiens en ont pris acte. Cet épisode, comme les graves tensions qui avaient suivi les attentats du 11 Septembre, a mis à l’épreuve leur relation, mais il a aussi prouvé la solidité du pacte. Américains et Saoudiens ne s’aiment pas, mais ces derniers savent que personne ne peut remplacer les Américains pour assurer leur sécurité. Quant aux Américains, rien ne dit qu’ils n’auront pas de nouveau besoin du pétrole du Golfe, le gaz de schiste n’est pas inépuisable. Et de toute façon leurs principaux alliés en ont besoin. Les États-Unis ont besoin des Saoudiens dans différentes crises, comme en Syrie. Quant à la France, elle a profité de ce moment de tension, mais il y a des limites. Elle n’a évidemment pas les moyens de remplacer les Américains.

L’exportation du terrorisme est-elle directement le fait de Riyad ?

La matrice idéologique est incontestable. Le wahhabisme inspire le terrorisme. Mais le régime a compris qu’il pouvait y avoir un effet boomerang. Les Arabes afghans de Ben Laden ont fini par s’en prendre au régime saoudien. Et l’émir du groupe État islamique, Al-Baghdadi, a déjà menacé explicitement Riyad. Les Saoudiens ont compris que ce « Frankenstein » monstrueux qu’ils ont créé leur échappe. Ils payent leurs ambiguïtés et leur manque de clairvoyance.

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