France-Allemagne, drôle de match !

Nos bras ne sont pas grands ouverts, c’est le moins que l’on puisse dire. C’est mieux, mais tardif, et ça manque singulièrement de spontanéité.

Denis Sieffert  • 9 septembre 2015 abonné·es

Décidément, on n’échappe jamais à la comparaison avec l’Allemagne. Le chômage, le rapport patronat-syndicats, le Smic, la dette, l’Europe, on ne manque pas une occasion de se mesurer avec le voisin d’outre-Rhin, si parfait dans la gestion de ses deniers, si mûr dans ses relations sociales et, pour tout dire, si admirablement capitaliste. Et le drame des réfugiés agit comme un nouveau révélateur de nos différences. Les images qui nous sont renvoyées ces jours-ci dans les médias sont cruelles pour notre pays. D’un côté, les sourires enfin radieux de centaines de migrants débarquant en gare de Munich, accueillis comme des héros par une population heureuse de faire des heureux ; de l’autre, des CRS qui coursent de pauvres bougres épuisés et meurtris aux abords du tunnel sous la Manche. Évidemment, le miroir est déformant. La solidarité existe chez nous. Elle est d’autant plus admirable qu’elle s’exprime dans l’adversité, quand ce n’est pas dans l’illégalité. Et l’Allemagne est loin d’être cet Eden dont rêvent les migrants. Elle couve toujours dans son sein un lot incompressible de nazis fétichistes du Troisième Reich.

Mais parlons des opinions dominantes, celles que mesurent les sondages, et qui fait apparaître une France méfiante, frileuse, apeurée et parfois hostile. Une « patrie des droits de l’homme » pas très fringante ! Pourquoi ce contraste ? Depuis plusieurs décennies, l’opinion française est travaillée par une extrême droite qui, à la différence des néonazis allemands, a pénétré en profondeur notre société jusqu’à postuler sérieusement au pouvoir. Il y a à cela plusieurs explications, historiques et économiques. Mais pointer du doigt le seul Front national serait ici trop facile. Ce serait surtout omettre l’essentiel. Si cette extrême droite, pétainiste et « bien de chez nous », a prospéré, c’est qu’elle a été légitimée par une partie de la droite. La différence entre le discours de Sarkozy sur l’immigration et celui de Marine Le Pen ne saute pas aux yeux. Additionnez les deux et vous avez déjà les sondages sur l’immigration. Mais ce n’est pas tout. Sous d’autres formes, avec d’autres mots, la gauche de gouvernement a souvent apporté sa pierre à ce sombre édifice. L’idée qu’il n’y avait qu’une seule sorte de Français possible s’est installée. La crainte d’un envahissement a gagné les esprits. Un envahissement plus culturel qu’économique.

On peut toujours faire toutes les démonstrations que l’on veut sur l’enrichissement que notre pays pourrait retirer de l’accueil des migrants, on ne peut rien contre la peur de l’islam qui a été instrumentalisée au cours des dix dernières années. Ni contre l’amalgame avec le terrorisme. Un amalgame toujours nié mais si souvent suggéré. J’ai été frappé de voir, lundi, comment lors de sa conférence de presse François Hollande est passé de la question des réfugiés à celle du terrorisme. La nouvelle gesticulation aérienne que nous allons entreprendre au-dessus du désert syrien, aussi vaine que contre-productive, a été présentée par le président de la République à la fois comme la réponse à la question des réfugiés et comme une tentative de tarir la source du jihadisme français. Deux illusions. Répétons au passage que la plupart des Syriens qui viennent en Europe fuient surtout les bombes de Bachar Al-Assad. Parce que ces massacres-là se passent dans les villes, à l’ouest du pays, là où nos avions n’iront jamais. Fort heureusement d’ailleurs !

J’ai trouvé très restrictive et inquiétante aussi la définition que François Hollande a donnée des « réfugiés » qui auraient un droit d’asile : « Tout homme persécuté en raison de son activité en faveur de la liberté. » Quid de ceux qui sont persécutés sans spécialement « agir » en faveur de la liberté ? Et quid des réfugiés économiques ? Nos bras ne sont pas grands ouverts, c’est le moins que l’on puisse dire. C’est mieux, mais tardif, et ça manque singulièrement de spontanéité. Vingt-quatre mille réfugiés sur deux ans, et pas un de plus, a annoncé le Président sous la double pression de Bruxelles… et d’Angela Merkel. Comme si la chancelière allemande devait toujours guider la politique de la France, pour le pire (la Grèce) ou pour le meilleur (les migrants). Mais l’Allemagne, justement, reparlons-en. Sans doute, l’argument économique n’est pas étranger à la réaction généreuse de « Mama Merkel », comme la surnomment les réfugiés. L’Allemagne a besoin de compenser sa faible croissance démographique. Mais il y a aussi une part affective dans sa réaction. Nous avons affaire là à une droite chrétienne, austère et charitable, qui n’est pas celle de Sarkozy. Merkel s’est peut-être également souvenue qu’elle avait été est-allemande, c’est-à-dire « immigrée » dans son propre pays après la réunification. Et puis, beaucoup d’Allemands ne sont pas mécontents de retoucher un peu leur image tellement dégradée par l’affaire grecque. Reste à savoir si l’Allemagne sera aussi intraitable avec les pays qui n’appliqueront pas les quotas européens d’accueil qu’elle l’a été avec la Grèce. Bref, si la dette est plus grave que la xénophobie.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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