Grèce : « Partir des besoins fondamentaux »

Un appel anticipe la catastrophe économique et sociale que la mise en œuvre du mémorandum signé en juillet risque de provoquer. Il propose que la société civile engage par elle-même un nouveau projet de développement.

Thierry Brun  • 30 septembre 2015 abonné·es
Grèce : « Partir des besoins fondamentaux »
Gabriel Colletis Professeur de sciences économiques à l’université Toulouse-I-Capitole.
© Bicanski/Getty Images/AFP

Intitulé « Un avenir pour la Grèce », un appel a été lancé fin août par l’économiste Gabriel Colletis et Ioannis Margaris, ingénieur membre de Syriza et vice-président de l’opérateur grec de distribution d’électricité Hedno. Élaboré par une dizaine de personnes, l’appel prévoit que les effets du troisième mémorandum, signé en juillet, seront dévastateurs sur le plan économique et social. Son application va entraîner « la Grèce sur la pente du déclin et de l’abdication de sa souveraineté », affirme-t-il. Les signataires veulent inverser cette tendance funeste par la mise en œuvre d’un projet de développement économique et social : « Nous sommes prêts à contribuer à élaborer les méthodes et les outils nécessaires à la définition et à la mise en œuvre du projet de développement dont la Grèce a impérativement besoin. »

Le mémorandum de juillet peut-il préserver la Grèce d’une sortie de l’euro ?

Gabriel Colletis : Nous considérons que la probabilité que la Grèce sorte de la zone euro est énorme : neuf chances sur dix. Tout simplement parce que les objectifs qui lui sont assignés sont absolument inatteignables. Lorsque les créanciers vont constater que les objectifs ne sont pas atteints pour débloquer les tranches d’aides auxquelles le pays a droit, il y aura de nouveau une situation de blocage. L’Allemagne aura alors toutes les raisons de pousser la Grèce hors de la zone euro. Les Allemands vont donc arriver au point où ils jugeront que le fonctionnement de la zone euro n’est pas ou n’est plus satisfaisant. Aussi vont-ils décider de la déconstruire et de s’en prendre au maillon le plus faible. Et ce sera forcément la Grèce. C’est un scénario cousu de fil blanc, et il est écrit en Allemagne de manière très explicite par l’ancien conseiller du ministre des Finances, Wolfgang Schäuble.

La sortie de l’euro aggraverait la situation économique et sociale…

Le projet de développement exposé dans l’appel lancé par Gabriel Colletis et Ioannis Margaris s’appuie sur cinq principes : « recouvrer la souveraineté politique et économique », « développer la démocratie dans les tous les domaines de la vie politique économique et sociale », « répondre aux besoins fondamentaux du peuple grec, en valorisant le travail et les compétences de tous », « protéger la nature et plus généralement tous les biens communs », « favoriser le développement des territoires, les économies de proximité ».
Il y a une sorte de course contre la montre parce qu’il faut que, très vite, des éléments embryonnaires d’un nouveau modèle de développement prennent une expansion suffisante lorsque se produira ce choc sismique. Le motif en est très simple à comprendre. Le pays dépend terriblement de ses importations, y compris pour les besoins de première nécessité. Si la drachme nouvelle est introduite et qu’elle se déprécie dans la fourchette prévisible, entre 30 et 50 %, dès lors qu’il n’y a pas de biens grecs de substitution, le prix des importations explosera. Par conséquent, le choc de pauvreté redouté risque de se produire, avec un tissu économique et social qui se déchire, le déploiement d’une économie parallèle ou mafieuse, et des importations « low cost ». C’est ce scénario du désastre, loin d’être improbable, que nous avons anticipé pour préparer et mettre en œuvre un nouveau modèle de développement.

Le poids de la dette risque de réduire la portée de votre projet…

Avec un avocat d’affaires internationales, Jean-Philippe Robé, et un économiste, Robert Salais, nous avons proposé aux gouvernements grec, allemand et français un schéma de conversion de la dette en certificats d’investissement [valeur mobilière qui s’apparente à une action sans droit de vote, NDLR]. Cette proposition a été considérée comme suffisamment sérieuse pour que nous soyons reçus à l’Élysée par Laurence Boone. Et elle a été reprise dans un rapport sénatorial sur la Grèce. Elle est aussi, bien sûr, connue du gouvernement grec. Nous espérons que cette proposition sera préférée à celle d’un allongement de la maturité de la dette ou de discussions sur les taux d’intérêt. Cette seconde solution peut faire baisser la dette grecque, mais de dix points maximum, ce qui est très insuffisant.

Comment mettre en œuvre un tel plan de développement ?

L’idée est que la société civile peut se prendre en main pour élaborer un nouveau modèle de développement et promouvoir une économie diversifiée. Il s’agit de sortir du dualisme habituel, qui consiste, par exemple, à remédier à une défaillance du secteur privé par une extension du secteur public ou l’inverse. Nous considérons qu’une économie résiliente se construit sur des initiatives du privé, notamment des PME, et avec un secteur public qu’il faut préserver dans certains domaines. Les marges d’extension les plus fertiles et les plus intéressantes de notre modèle sont très proches de l’économie sociale et solidaire. D’autre part, nous pensons que des financements externes à la Grèce demeurent possibles. Les crédits de la Banque européenne d’investissement (BEI) sont très peu utilisés par la Grèce. Les Grecs ont eu du mal jusqu’à présent à rassembler plusieurs entreprises, des laboratoires de recherche ou des universités. Ce sont des pratiques courantes en France et en Allemagne, mais en Grèce ces projets coopératifs sont assez peu nombreux.

Comment sont perçus cet appel et votre projet de conversion de la dette ?

Du côté français, notre proposition de conversion de la dette en certificats d’investissement a été considérée comme sérieuse. En Allemagne, nous avons deux échos radicalement opposés : le ministère des Finances ne nous a pas reçus, mais du côté de la chancellerie, notre proposition a été considérée comme crédible si le gouvernement grec la pousse et si le gouvernement français y est favorable. Nous en avons informé le numéro deux du gouvernement grec, Yannis Dragasakis, notre interlocuteur principal. Nous l’avons averti aussi de l’existence de cet appel en lui indiquant qu’il n’était pas antigouvernemental. La meilleure preuve de cela est que Ioannis Margaris fait partie de Syriza. Mais nous ne pensons pas que le gouvernement grec soit en mesure d’empêcher le cataclysme à venir. Il devra consacrer toute son énergie à mettre en œuvre le mémorandum. Et on ne se fait pas d’illusions sur ce que le gouvernement appelle « ses marges de manœuvre ». Elles sont très restreintes, voir quasi nulles. Pour ce qui concerne l’appel, celui-ci circule via les réseaux sociaux, avec l’aide de Pitsirikos, l’un des blogueurs les plus suivis en Grèce.

Allez-vous rencontrer le nouveau gouvernement ?

Oui, nous avons toujours des contacts avec le gouvernement, en particulier avec Yannis Dragasakis, qui a été reconduit dans sa fonction de vice-président du gouvernement. Nous allons mettre en place des groupes de travail, tout en restant dans l’esprit de l’appel, partant de cette économie diversifiée que l’on cherche à promouvoir et partant aussi des besoins fondamentaux du peuple grec. Nous pensons mettre en place une dizaine de groupes, sur le logement, la santé, la petite industrie, le développement territorial, les banques du temps, etc. Cela existait avant la réélection d’Alexis Tsipras, mais de manière informelle et dispersée. Nous essaierons de donner à ces initiatives un cadre et une cohérence. Nous n’ignorons pas le monde politique, mais nous soutenons une forme de démocratie participative, directe. Il s’agit d’articuler un modèle de développement diversifié sur la base de principes démocratiques.

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