Innover contre la crise

Pas de solution sans changement de modèle de production.

Jérôme Gleizes  • 9 septembre 2015 abonné·es

Les pays occidentaux se trouvent dans une situation budgétaire post-guerre sans qu’il y ait eu de guerre. Les niveaux d’endettement public sont irrécouvrables : Japon (243,2 % du PIB), États-Unis (104,2 %), Grèce (168,8 %), Italie (135,1 %), Portugal (129,6 %), France (97,5 %)… Historiquement, de telles dettes ont toujours été effacées, au moins partiellement, car le niveau de richesse nécessaire à leur remboursement était impossible à atteindre. Même le FMI le demande pour la Grèce. Une conférence internationale sur le sujet devrait être organisée, car nous sommes dans la situation décrite par Keynes dans les Conséquences économiques de la paix, publié en 1919, à propos du traité de Versailles : le niveau des réparations demandées à l’Allemagne (aujourd’hui à la Grèce) était si élevé qu’il ne serait jamais respecté et produirait une amplification de la crise.

La crise grecque est un cas d’école des impasses du capitalisme. En effet, il existe un mécanisme endogène à la crise, différent des années 1920 : l’insuffisance des ressources naturelles non renouvelables bloque le mécanisme d’accumulation du capital et donc le rythme de croissance, empêchant de rembourser les dettes passées. Il n’y aura donc pas de solution crédible à la crise sans changement de modèle de production. C’est pourquoi la prochaine COP21 devra poser la question de la transition pour éviter de dépasser les 2 °C de réchauffement climatique et pour s’adapter aux modifications climatiques inévitables. La crise sociale en Grèce, c’est 26 % de sans-emploi et 3,4 millions de pauvres. Il n’est pas possible d’attendre des solutions par le haut. Le plus simple serait de lancer un emprunt européen de 1 000 milliards d’euros [^2], mais, en attendant, il faut que la Grèce développe une monnaie complémentaire afin de se donner les moyens de mettre en place un outil capable de financer un développement endogène et résilient à la crise mondiale. Pour cela, il faut créer une monnaie fiscale de type « IOU », gagée sur les recettes fiscales à venir, comme cela a été fait en Californie ou en Irlande [^3], ou sur le modèle de la monnaie fondante suisse « WIR », créée en 1934, en pleine crise, et toujours en fonctionnement. Comme lors de la crise argentine de 2000, une monnaie complémentaire permet de solvabiliser un circuit économique localisé, complémentaire du circuit en euros, ouvert sur le reste de l’Europe.

Cependant, la politique actuelle ne fait que gagner du temps, car « comme les huit plans précédents, le nouveau plan d’austérité va aggraver la récession et le déficit public et alourdir in fine le poids de la dette grecque [^4] ». De gré ou de force, il y aura une réorientation de la politique économique. Autant la mettre en œuvre aujourd’hui plutôt que prendre le risque de voir les craintes de Keynes se répéter.

[^2]: « Pour un grand emprunt européen de 1 000 milliards d’euros », Jérôme Gleizes et Yann Moulier-Boutang, Ecorev ’ n° 32, mai 2009.

[^3]: Voir le blog de Thierry Brun, « Grèce : le plan B à l’irlandaise ».

[^4]: « Un accord désastreux pour la Grèce et pour l’Europe », Thomas Coutrot, le Monde, 14 juillet.

Publié dans le dossier
Quel plan B pour changer l'Europe ?
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