La gauche doit « muscler » le rapport de force

La crise grecque a nourri les débats de toutes les composantes de la gauche cet été. Mais les stratégies de lutte divergent encore.

Michel Soudais  • 9 septembre 2015 abonné·es
La gauche doit « muscler » le rapport de force
© Photo : Michel Soudais

La sinistre conclusion (provisoire?) de la crise grecque n’affecte pas les dirigeants socialistes. À l’image d’un Michel Sapin satisfait assurant benoîtement à La Rochelle, devant une assistance clairsemée, que « le plan négocié n’est pas de l’austérité qui s’ajoute à l’austérité, il est beaucoup moins austéritaire que les précédents ». En revanche, elle trouble et bouscule les forces de gauche. Beaucoup de communistes « vivent douloureusement ces événements et s’interrogent sur les leçons à en tirer », reconnaissait Pierre Laurent en clôture de l’université d’été du PCF. Le socialiste Emmanuel Maurel, qui, au congrès de Poitiers, avait demandé (en vain) que son parti se déclare solidaire du peuple grec, avoue que l’accord du 13 juillet a produit chez lui comme chez d’autres militants « un effet de sidération ». « La crise du projet européen est assez spectaculaire, analyse-t-il [^2]. On ne peut plus en rester à des réponses comme : “L’Europe, c’est notre avenir”, “l’Europe, c’est la paix”, “c’est le niveau pertinent pour répondre”, “il faut accepter la méthode des petits pas, le compromis avec d’autres qui ne pensent pas comme nous”. C’est cette façon de penser qui est remise en cause aujourd’hui. » *Même les partisans les plus résolus** de la construction européenne s’interrogent. Qui aurait imaginé qu’EELV inscrive au programme de ses journées d’été un forum qui invite à *« changer le logiciel européen » ? Et si le débat n’a pas débouché sur une réponse formelle, les intervenants avançant des propositions très contradictoires, il aura au moins montré avec les interventions de la salle que, pour certains militants, « penser la sortie de l’euro » n’est plus un tabou dès lors que « la camisole budgétaire est au bout du chemin ». S’il n’est pas sur cette position, le député européen Yannick Jadot, qui animait ce forum, s’est inquiété de la récente privatisation de quatorze aéroports grecs au profit d’une consortium allemand dont une part non négligeable du capital est détenu par l’État allemand, y voyant un possible « processus de germanisation de l’économie grecque », dont il se demande s’il ne résume pas le « cynisme » de ce qui se passe entre l’Europe et la Grèce.

S’il est un mérite que personne ne conteste au gouvernement d’Alexis Tsipras, c’est d’avoir « mis à nu la lutte des classes » qui se joue à la tête de l’Europe et « montré le vrai visage de l’oligarchie libérale », résume Pierre Laurent. Il « a permis de révéler aux yeux de tous la férocité, le cynisme et la détermination de l’Eurogroupe préférant la concurrence entre les peuples à leur coopération solidaire, le dogmatisme à la démocratie, l’intérêt de la caste dirigeante à celui des catégories populaires », abonde Clémentine Autain (Ensemble !). « Cette période a eu l’immense mérite de dessiller les yeux à beaucoup sur l’intransigeance de Mme Merkel et des pays satellites de l’Allemagne », complète Éric Coquerel (PG). Elle a produit « une forme de repolitisation à travers un rapport de force », note de son côté le socialiste Benoît Hamon. Reste toutefois l’échec d’une stratégie, qui visait à pallier l’absence de mouvement pan-européen susceptible de bousculer les fondations de l’Europe libérale, que Guillaume Liégard (Ensemble !) apparente sur regards.fr à la théorie des dominos : « À partir d’une victoire dans un des pays de l’UE s’enclenche un processus dynamique qui nourrit en retour la radicalité dans d’autres pays, permettant de nouvelles victoires et la modification du rapport de force.  […] Ce scénario crédible n’avait qu’un défaut, celui de penser que les libéraux allaient regarder passer le train et applaudir à leur propre défaite avec fair-play. » À dire vrai, il en avait un autre. Si la chaîne a bien craqué, comme le prédisait Jean-Luc Mélenchon, c’est dans le pays économiquement le plus sinistré et le moins apte à peser dans un rapport de force que cet événement s’est produit. Comment donc reprendre le combat ? La question suscite des débats vifs à proportion de son urgence. « Le combat reste la démocratie de tout ce bordel », estime Yannick Jadot, qui observe que « l’Europe qui a négocié avec la Grèce, c’est l’Europe des nations avec une hiérarchie des pays suivant leur puissance économique ». « Il n’est pas possible de continuer à négocier des programmes aussi intrusifs sans contrôle démocratique fort. » Si l’objectif, qui est aussi celui de Yanis Varoufakis, reçoit un large accord, il bute sur un obstacle : la nécessité de revoir les traités, une procédure longue et incertaine qui nécessite l’unanimité des Vingt-Huit.

Sortir de l’euro ? La direction du PCF le refuse toujours, l’assimilant à un retour au « chacun pour soi ». Son secrétaire national préconise, « même si c’est difficile et si l’objectif paraît élevé », de reconquérir « pied à pied dans des luttes de classes intenses en Europe, et dans la durée, le pouvoir sur l’euro, sur nos banques, pour en changer la nature ». Le PG, pour sa part, n’exclut pas un « Frexit ». Cette sortie n’est toutefois pas pour lui un préalable, mais l’aboutissement d’un affrontement qui aurait échoué à faire accepter par ses « partenaires » européens une politique alternative dans la zone euro. Son « plan B » en cas d’échec du « plan A », qui reste la désobéissance aux traités ( Politis n° 1363-64-65). L’exemple grec n’invalide-t-il pas toute velléité de désobéissance ? « C’est toujours possible de changer les choses, croit Emmanuel Maurel, mais il faut avoir pour ça le rapport de force. Et là, clairement, Syriza ne l’a pas eu, l’Italie et la France sont intervenues trop tard, et peut-être trop discrètement. » « Pour commencer, nous devons muscler le rapport de force », préconise Clémentine Autain. C’est aussi le but du sommet internationaliste du plan B que le PG propose d’organiser (voir ci-dessous). S’il s’agit de rapprocher les points de vue, d’unir les gauches européennes et de définir une nouvelle approche stratégique crédible, l’initiative ne sera pas inutile.

[^2]: Entretien complet sur Politis.fr

Publié dans le dossier
Quel plan B pour changer l'Europe ?
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