Laisser les fossiles dans le sol

Les multinationales d’extraction sont « l’ennemi principal ».

Jean Gadrey  • 9 septembre 2015 abonné·es

Un appel mondial pour sauver le climat a été lancé fin août sous le titre : « Laissons les fossiles dans le sol pour en finir avec les crimes climatiques ». On espère des millions de signatures venant de tous les pays. Son titre et son contenu ont parfois surpris. Pourquoi ce mot d’ordre central sur les « fossiles », charbon, pétrole et gaz pour l’essentiel ? Pourquoi exiger de « renoncer à exploiter 80 % de toutes les réserves de combustibles fossiles »  ? Pourquoi cibler les quelques dizaines de firmes multinationales du secteur de l’extraction et leurs alliés étatiques ? N’y a-t-il pas aussi des responsabilités du côté des usages de ces combustibles, pour produire, consommer, se déplacer, etc. ? L’agriculture productiviste et la déforestation ne produisent-elles pas beaucoup de gaz à effet de serre sous l’effet d’autres facteurs que les « fossiles » ? Pourquoi l’appel ne mentionne-t-il pas les énergies renouvelables ? Et le nucléaire ?

Ce sont d’excellentes questions à poser aux rédacteurs de cet appel. Mais, en attendant, voici une interprétation en défense de ce texte, qui n’a rien d’un programme de transition ni d’une analyse complète des facteurs et des acteurs de la crise climatique. Le point de départ est scientifique, la démarche est stratégique, visant « l’ennemi principal ». Sur le plan scientifique, la référence est celle d’un « budget carbone » de l’humanité pour les décennies à venir, notamment d’ici à 2050 : quel est le plafond des émissions cumulées qui nous permettrait de rester sous la barre des + 2 °C de réchauffement climatique par rapport à l’époque préindustrielle (et de préférence sous la barre des 1,5 °C, car + 2 °C, cela fera déjà très mal) ? On dispose aujourd’hui de fourchettes d’estimation sérieuses, et c’est sur cette base que l’appel mentionne le chiffre de 80 % des réserves de fossiles à laisser sous terre. Sur le plan de la stratégie militante, le constat est le suivant : il y a certes beaucoup de gros et de petits responsables des émissions excessives, mais c’est malgré tout du côté des multinationales de l’extraction, des banques qui les financent et des États qui font leur jeu que l’on trouve à la fois la « source » majeure des émissions et le pouvoir économique et politique le plus destructeur du climat.

Par ailleurs, remporter des victoires dans le domaine du « désinvestissement » des États (par la fin des subventions, qui sont gigantesques) et des banques (comme dans un exemple récent en Australie) créerait de bien meilleures conditions pour réinvestir massivement dans des énergies propres, de préférence coopératives et de proximité, pour mettre ainsi en avant des politiques de sobriété énergétique.

Extrait de cet appel : « Des décennies de libéralisation commerciale et financière ont affaibli la capacité des États à faire face à la crise climatique. Partout, des forces puissantes – entreprises du secteur fossile, multinationales de l’agrobusiness, institutions financières, économistes dogmatiques, climatosceptiques et climatonégationnistes, décideurs politiques prisonniers de ces lobbies – font barrage… » Cet appel peut contribuer à les vaincre.

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