Ainsi soient-ils, dernière version, dernière tournée !

Arte programme la troisième et dernière saison de la série télé à contre-courant, Ainsi soient-ils. Entre intention et réalisation, entretien avec son coauteur, Vincent Poymiro.

Jean-Claude Renard  • 8 octobre 2015
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Ainsi soient-ils, dernière version, dernière tournée !

Qu’est-ce qui a présidé à une série consacrée à de jeunes séminaristes ?

C’est d’abord une idée du producteur, Bruno Nahon, celle de raconter l’histoire de cinq jeunes prêtres aujourd’hui. Cette idée m’a renvoyé à un projet que j’avais depuis longtemps imaginé. Une forme de fiction romanesque, avec le point de vue d’un prêtre, dans le monde d’aujourd’hui, permettant d’avoir un regard exacerbé sur toutes les complexités et les contradictions de notre monde, un prêtre lui-même au cœur de ces contradictions. On a ainsi songé à dessiner une arène, comme on le fait pour les séries, mais, en lieu et place du commissariat, ou d’un hôpital, un séminaire, un lieu de formation, avec ses jeunes, une espèce d’ENA de l’Église, au cœur du pouvoir, ce qui permet d’avoir des intrigues remontant dans la hiérarchie, tout en ayant de jeunes gens cognant à la porte, avec leurs préoccupations, leurs tentations. L’idée s’est renforcée à l’arrivée de David Elkaïm sur le projet : l’Église, c’est la clé d’entrée, le vrai sujet, c’est le monde contemporain, la question de l’engagement et de l’idéal. Qu’est-ce qu’une institution, qu’est-ce qu’un choix de vie ? Nos séminaristes représentent quelqu’un aujourd’hui qui, à 20 ans, est entré quelque part pour changer le monde.


Illustration - Ainsi soient-ils, dernière version, dernière tournée !

Comment s’est avancé le récit, avec trois saisons de huit épisodes ?

Rien n’était prévu, au moins au moment de la première saison. Notre force, c’étaient les personnages, de créer des complexités humaines, contradictoires, tiraillées et de les jeter dans un bain de conflit, sachant que cela produit toujours des choses. Les personnages ont ainsi tracé des lignes que l’on devait suivre. À la fin de la saison 1, ils existent, ils ont leur courbe dramatique, sans être achevée, au contraire des autres séries où les personnages ont leurs thématiques suffisamment profondes pour rebondir sur plusieurs saisons. À la fin de la première saison, nos personnages en réclament encore. Au cours de la saison 2, avec une Église dont on se demande si elle est capable d’accueillir ces séminaristes, on avait déjà des ingrédients propices à une saison 3… Les règles étant de rester dans le conflit, dans un mouvement centrifuge, de conserver des personnages aux failles suffisamment fortes pour que chaque saison réveille ces failles et la problématise de manière différente. Ce qui revient à dire que dans la vie, on n’a jamais fini de se cogner les mêmes conneries. Elles sont précisément ce qui nous définit, mais qu’on ne parvient pas à voir en face. Une série s’arrête en principe quand le protagoniste a enfin touché du doigt sa faille. Soit il finit par la résoudre, soit il se laisse engloutir par elle.


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Par ailleurs, en créant des attentes chez le téléspectateur, il ne s’agissait pas de donner ce qui est évident. Mais on ne peut pas parler de l’Église aujourd’hui en ignorant les questions que se pose tout le monde sur l’économie, la crise des vocations, sur son influence, sur ce qui se passe au Vatican. C’est une question de cohérence, a fortiori quand on s’attèle à une institution, un lieu d’influence, de pouvoir, avec sa hiérarchie, tout ce à quoi se confronte aussi un jeune prêtre à son arrivée. Tout un ensemble qui nous permet de raconter une histoire pyramidale. Du coup, l’Église devient une métaphore de tous les endroits de la société qui fonctionnent sous forme institutionnelle, qui ont une histoire, une culture, un problème avec la modernité, avec le désengagement contemporain, avec la toute-puissance de l’économie.


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Le travail s’est-il fait à l’américaine, à plusieurs mains ?

Il n’y a pas de règle. On surmédiatise la “writing room”, avec son chef d’équipe et une hiérarchie, des scénaristes en première ligne, d’autres pas. De notre côté, nous avons travaillé de façon totalement artisanale sur la saison 1, avec David Elkaïm, en écrivant chacun de notre côté, avant d’être épaulés par la suite par Arthur Harari, puis surtout pour cette saison 3, par Claudia Bottino, Jean Denizot et Claude Le Pape. Sur la forme, entre la réalisation de Rodolphe Tissot et les images de Pénélope Pourriat, on a essayé d’aller vers une forme d’épure et de justesse esthétique.

Les sans-papiers, l’homosexualité, la pédophilie… N’y a t-il plus de tabou quand on écrit une fiction télé destinée au grand public ?

Pour nous, la question des tabous ne s’est même pas posée. Au contraire, la direction d’Arte voulait au départ qu’on apporte un maximum de sujets touchant l’Église. On n’a pas cherché à faire un travail exhaustif. C’est la fiction et nos personnages qui nous ont guidés. C’est ainsi que la pédophilie est abordée en saison 3 parce qu’elle croise à un moment donné la route de notre personnage, et qu’on a trouvé comment la raconter. Non pas pour expliquer ce qu’est la pédophilie, mais comment on peut reconstruire une communauté après un drame épouvantable, ce qu’on ne raconte jamais de l’intérieur… Sur les sans-papiers, ça nous semblait cohérent, en traitant une institution qui paraît très conservatrice sur les mœurs, et qui sur le plan social prend des positions parfois très surprenantes et plutôt très avancées. On le voit aujourd’hui avec le pape.


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Peut-on dire que vos personnages sont des cathos de gauche ?

Il y a probablement une inspiration… Probablement, aussi, que les cathos de gauche sont ce qu’il y a de plus intéressant en terme de fiction parce qu’ils sont dans une contradiction naturelle. Qu’est-ce qu’il y a de plus conflictuel, dans la vie, que d’être à la fois catho et de gauche ? On ne peut pas faire plus compliqué ! Peut-être aussi que cela représente la mémoire d’une pensée sociale, qui hélas a été malmenée par le cynisme et le pragmatisme des vingt ou trente dernières années et qu’il serait temps aujourd’hui peut-être de remettre en scène des gens mus par un idéal fort. Mais, dans Ainsi soient-ils , tous les personnages n’ont pas réellement cette nature. Le père Fromanger est lui, certes, une icône typique des cathos de gauche, mais chez les jeunes séminaristes, c’est plus complexe, selon les confrontations, les chemins.

Longtemps, les séries ont été marquées par le genre policier. La vôtre, ni policière ni politique, comme House of Cards ou Borgen, entre dans le champ social. N’est-ce pas encore un genre inexploité ?

Encore faut-il avoir un point de vue sur le social, complexe, conflictuel, parce qu’on pourra toujours dire qu’on a eu les assistantes sociales, les instits, qui sont très convenus… Encore une fois, ce sont les personnages qui nous ont intéressés, dans un monde spécifique. Et plus on est spécifique, plus on est universel. La vocation de la télévision devrait être de nous raconter le monde sous nos fenêtres, de manière tendue, fictionnelle, qui nous aiderait à entrer dans la réalité, à lui rentrer dedans même, de la manière la plus excitante, comme les Américains ont cette capacité à rendre attrayante une station-service au coin de la rue. Or, on pense trop souvent que pour que les personnages soient intéressants, il faut qu’ils aient une vie de dingue et des flingues !


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Depuis quelques années, on s’accorde à dire que les séries actuelles ont rompu avec les séries de papa. Qu’est-ce qui les distingue ?

C’est avant tout la complexité narrative, la complexité des points de vue, la complexité romanesque. C’est de la télévision complexe ! Qui, avec les outils très classiques de la dramaturgie, les outils populaires du récit au long cours, arrive à une complexité incroyable de représentation du monde, et qui probablement en remontre même au cinéma. Évidemment, la puissance esthétique cinématographique n’est pas reproductible, mais la modernité n’est pas qu’une question de forme, c’est aussi une question de fond, ce qu’on a un peu oublié, et que les séries viennent désormais nous rappeler. On assiste maintenant à des pactes narratifs avec des retours en arrière, des récits insérés, des points de vue différents, qui montrent bien qu’on ne prend pas le téléspectateur pour un idiot, mais qu’il est actif.

Propos recueillis par Jean-Claude Renard

Ainsi soient-ils , à partir de ce jeudi 8 octobre, 20h50, sur Arte, jusqu’au 22 octobre (troisième saison et coffret intégral de la série disponible le 21 octobre).


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Temps de lecture : 9 minutes
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