« Le Cœur cousu », de Carole Martinez : Raccommoder les âmes

Le Cœur cousu distille une magie tragique en marionnettes. Un enchantement de fil et de fer.

Anaïs Heluin  • 7 octobre 2015 abonné·es
« Le Cœur cousu », de Carole Martinez : Raccommoder les âmes
© **Le Cœur cousu** , de Carole Martinez, adapté par Claire Dancoisne. La Rose des vents, Villeneuve-d’Ascq (59), 8 et 9 octobre, www.larose.fr. Centre culturel Balavoine (62), 10 octobre, 03 21 88 94 80. Tournée : www.theatre-lalicorne.fr. Photo : Christophe Loiseau

Le jour où elle devient femme, Frasquita Carasco reçoit de sa mère un don : celui de la couture. Elle aurait pu broder tous les napperons du monde, confectionner tous les chandails de la Terre, mais la jeune héroïne du Cœur cousu, le best-seller de Carole Martinez [^2], est une idéaliste. Elle veut faire mieux. Transformer son village du sud de l’Espagne miné par la sécheresse et un catholicisme tout-puissant en havre d’amour et de prospérité. Avec son fil et ses aiguilles, elle commence alors par fabriquer un cœur à une statue de la Vierge. On crie au scandale. Mais Frasquita est déterminée et elle se met à raccommoder les âmes et les corps malades.

Fondatrice du Théâtre La Licorne, qui vient d’investir un nouveau lieu à Dunkerque [^3], Claire Dancoisne a vu dans ce personnage une magie tragique faite pour la marionnette. Son adaptation du Cœur cousu a été l’un des grands moments de la 18e édition du Festival mondial des théâtres de marionnettes de Charleville-Mézières, qui s’est tenu du 18 au 27 septembre. Recouverte de tissus disparates de la tête aux pieds, la Frasquita du Théâtre La Licorne ressemble aux créatures qu’elle remet sur pied et aux marionnettes de chiffon à taille humaine qui peuplent le plateau. Elle se déplace dans une sorte de danse. S’exprime comme un être dans l’urgence, menacé à tout moment d’être frappé de mutisme. Comme les six autres comédiens de La Licorne qui participent à son épopée, elle a pourtant quelque chose de spécial. Un rythme, une vibration. Claire Dancoisne et ses interprètes savent tirer des contraintes imposées par la marionnette un jeu singulier. Assez onirique pour porter la fable de Carole Martinez, mais suffisamment proche du réel pour permettre l’adhésion du public à l’univers plastique très baroque et original du spectacle.

Conçus par Anne Bothuon et Martha Romero, les marionnettes de tissu, les costumes et les masques des comédiens évoquent des cocons. Gris-blanc et tout molletonnés, ils font de ceux qui les portent des promesses de personnages plus que des entités figées. Si Frasquita n’attire que des malheurs – son mari devient fou et elle se fait rejeter par sa communauté –, les matières ouatées qui l’entourent suggèrent d’autres développements possibles. Le Cœur cousu est un conte-matrice. L’intolérance qui pousse Frasquita à la fuite à travers une Espagne en guerre pourrait bien contenir autre chose. Pourquoi pas l’utopie initiale de la petite couturière…

[^2]: Gallimard, 2007, repris en « Folio ».

[^3]: L’ouverture publique aura lieu le 20 novembre avec une exposition intitulée « Les objets de La Licorne ». Le lieu servira d’espace de travail au Théâtre La Licorne, de résidence à d’autres compagnies et de lieu d’expositions et de rencontres.

Théâtre
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