Le retour de la Palestine

Poussée dans ses retranchements, la jeunesse palestinienne ne sera pas toujours imperméable aux tourments du monde arabe qui l’entoure.

Denis Sieffert  • 7 octobre 2015 abonné·es

On peut essayer de l’oublier, ou le reléguer à l’arrière-plan d’une actualité bien plus sanglante ailleurs, mais le conflit israélo-palestinien finit toujours par resurgir. Le fait colonial est têtu. C’est folie de la part des dirigeants israéliens de croire qu’ils vont pouvoir effacer de l’histoire tout un peuple. Soit en l’éliminant physiquement, soit en le chassant hors de ses terres, ou en l’opérant de son identité et de sa culture pour le reclure dans des réserves et l’abrutir dans un consumérisme vulgaire. Avec les Indiens, les pionniers de l’Amérique blanche (comme dirait Mme Morano) ont fait les trois à la fois. Mais les Palestiniens ne sont résignés à rien de tout cela. Et une grande partie de l’opinion israélienne n’est pas disposée non plus aux solutions les plus radicales. Le malheur, c’est qu’en se réfugiant dans le déni, elle laisse le pouvoir à ces fanatiques dont Israël ne manque pas.

Que peut-il donc se passer à présent, alors que la colonisation s’intensifie dans et autour de Jérusalem ? Et alors que, suprême provocation, les colons s’avancent vers l’un des lieux saints de l’islam ? Assurément, nous sommes à un tournant de ce conflit qui dure depuis soixante-sept ans. Parce que la colonisation est en train de franchir un seuil au-delà duquel la diplomatie internationale ne pourra plus ânonner son refrain : « Deux États vivant côte à côte dans des frontières sûres et reconnues… » Nous l’avons suffisamment entonné nous-mêmes ! Les Palestiniens, qui sont bien placés pour en juger, n’y croient plus. Et les dirigeants israéliens s’enhardissent à dire le fond de leur pensée, à savoir qu’il n’y aura « jamais d’État palestinien ». Toutes les issues étant verrouillées, beaucoup de jeunes pensent qu’il ne leur reste plus que la lutte armée. Depuis plusieurs semaines, on assiste à une recrudescence d’actes individuels et d’attaques contre des colons, suivis de tirs meurtriers de l’armée israélienne. Un gamin de 13 ans a ainsi été abattu lundi à Bethléem. Cent cinquante autres ont été blessés en 48 heures. Et Benyamin Netanyahou ordonne toujours plus de destructions de maisons en représailles. « Israël mène une guerre à mort contre le terrorisme », dit-il, usant du même vocabulaire que son voisin honni, Bachar Al-Assad, et que Vladimir Poutine. Est « terroriste » tout ce qui résiste. Et l’étiquetage vaut condamnation à mort.

Dans ce champ clos de désespoir, une nouvelle explosion de violence est donc possible. Mais le « terrain » n’est plus le même qu’au moment des intifadas de 1987 et de 2000. La revendication d’un État est de moins en moins crédible, et le paysage politique a changé. C’est peu dire que l’Autorité palestinienne est discréditée. La coordination dite « sécuritaire » avec Israël aurait eu un sens si d’intenses négociations avaient été en cours. Mais faute de la moindre perspective politique, les Palestiniens ont le sentiment que c’est l’ordre colonial que défend la police de Mahmoud Abbas. Celui-ci en est évidemment conscient. C’est pourquoi, dans une très sombre intervention, le 30 septembre, devant l’Assemblée générale de l’ONU, il a menacé, tout en restant très flou, de se désengager des accords avec Israël. Ce serait son ultime carte dans un jeu diplomatique de plus en plus pauvre. Et ce serait un pas vers l’autodissolution de l’Autorité palestinienne. Les colons à courte vue s’en réjouiraient sans doute. Il ne faut pas compter sur la classe politique israélienne pour leur expliquer que le conflit emprunterait alors un chemin périlleux, y compris pour eux. À terme, il est probable que la démographie accomplirait son œuvre paradoxale, donnant une majorité aux Palestiniens. Mais, comme disait Keynes, « à terme, nous serons tous morts ».

En attendant, les Israéliens devraient assumer une politique d’apartheid officiel et faire face à l’explosion de nouvelles formes de résistance et de révolte. C’est la nature de ces révoltes que l’on devrait interroger. Total désespoir, triomphe de la force coloniale brutale, abandon par la communauté internationale, sentiment de trahison par les mouvements politiques palestiniens traditionnels – parmi lesquels il faut compter le Hamas –, nous avons là tous les ingrédients du jihadisme. Poussée dans ses retranchements, la jeunesse palestinienne ne sera pas toujours imperméable aux tourments du monde arabe qui l’entoure. On sait que quelques cellules de Daech tentent déjà de s’implanter. On aura alors bousillé l’un des peuples les plus laïques (si ce mot ici a un sens !) du monde arabe. Les Occidentaux ont décidément l’art de créer des situations dans lesquelles il n’y a plus de bonne solution. Nous n’y sommes pas encore, mais il est temps que la France et quelques autres pays fassent entendre raison à Israël. Tout le monde y a intérêt. Nos sociétés ont une grande porosité avec le conflit israélo-palestinien. Les affrontements là-bas ont chez nous des répercussions immédiates. Le conflit est saturé de symboles – reconnaissance partielle, drapeau hissé devant le siège de l’ONU… –, c’est sur le réel qu’il faut désormais agir, et de toute urgence. Le mot « sanction » ne peut plus rester indéfiniment tabou dans le langage officiel.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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