« Une jeunesse allemande », de Jean-Gabriel Périot : Le péril jeune

Avec Une jeunesse allemande, Jean-Gabriel Périot raconte comment les membres de la bande à Baader sont passés de la bataille des images à la lutte armée.

Christophe Kantcheff  • 14 octobre 2015 abonné·es
« Une jeunesse allemande », de Jean-Gabriel Périot : Le péril jeune
© **Une jeunesse allemande** , Jean-Gabriel Périot, 1 h 33. Photo : DR

Ce sont des jeunes gens issus de la bonne société. Brillants, ils travaillent dans la presse ou l’édition, sont étudiants aux Beaux-Arts ou suivent les cours de la très sélective Académie du cinéma de Berlin. Tous, ils vont pourtant devenir « terroristes », entrant dans l’histoire sous le nom de « bande à Baader ». Voilà l’une des révélations du film passionnant de Jean-Gabriel Périot, Une jeunesse allemande. « Révélation » n’est peut-être pas le mot juste, car ces informations n’étaient pas cachées. Mais oubliées et, sans aucun doute en France, méconnues. Pour son premier long métrage, à l’instar de ses courts, Jean-Gabriel Périot a puisé dans les images d’archives pour construire son film. Celles-ci sont nombreuses. Et pour cause. Parce qu’elle était rédactrice en chef d’un magazine de gauche, Ulrike Meinhof était régulièrement invitée dans des débats à la télévision. Quant à Holger Meins, étudiant en cinéma, il a réalisé plusieurs films dans le cadre de son école, où apparaît notamment Gudrun Esslin et son physique à la Nico. Andreas Baader n’est certainement jamais loin, mais il n’est pas le plus présent à l’image. Horst Mahler l’est davantage. Avec son look d’homme d’affaires, il est l’avocat de tout ce petit groupe formant, en 1970, la Fraction armée rouge (Rote Armee Fraktion, ou RAF).

Toutefois, c’est incontestablement ce que le film montre de la période qui précède qui en fait le prix. Jean-Gabriel Périot a choisi de ne poser aucun commentaire sur les images afin que, de par leur seul ordonnancement, celles-ci restituent à ces garçons et à ces filles leur identité et leur histoire, et suggèrent que la RAF a une généalogie. Ce que l’appellation « terroristes », à laquelle ils sont réduits ordinairement, annihile, interdisant toute compréhension de ce qui s’est déroulé. Ces jeunes gens sont portés par une colère due au passé nazi d’une bonne part de la génération qui les précède, et conséquemment par une exigence véhémente : celle d’une démocratie effective et égalitaire, qui est loin d’être en vigueur en Allemagne. Il faut voir avec quelle maturité Ulrike Meinhof fait la démonstration, à partir de l’exemple d’un ouvrier dont les droits ont été bafoués par son patron puis par la justice, que « la conscience citoyenne n’est pas la bienvenue ». Une maturité qui l’aura abandonnée quand, quelques années plus tard, elle déclarera : « Chaque homme en uniforme est un porc. On ne discute pas avec eux, mais on a le droit de les tuer. » C’est que cette « jeunesse allemande » se sera entre-temps heurtée à certaines limites. Celles fixées par l’État ouest-allemand d’abord, ultra-répressif face à une contestation empruntant des formes audacieuses et incontrôlées. Mais ces étudiants en arts plastiques et en cinéma ont également surestimé ou méconnu le pouvoir des films qu’ils réalisent, butant sur leurs illusions. C’est à une réflexion essentielle sur la fonction du cinéma qu’invite aussi le film de Périot. Pour les membres de la future bande à Baader, celle-ci est claire : il faut « aider les ouvriers à trouver des repères », les films sont des « outils d’activisme » et, finalement, contribuent à l’élan révolutionnaire. Ils doivent constituer des modes d’emploi du soulèvement.

Le film d’Holger Meins sur la fabrication d’un cocktail Molotov en est l’illustration la plus flagrante. La foi dans les images, non exempte de naïveté, est indissociable de leur instrumentalisation. Il s’agit, à proprement parler, d’un aveuglement. Cet aveuglement a fait la force de cette jeunesse allemande autant qu’elle a participé à sa tragédie. L’apparition, à la fin du film, de Rainer Werner Fassbinder, ne fait que conforter cette impression. Car le réalisateur du Droit du plus fort, cinéaste d’une lucidité extrême, se méfiait, quant à lui, des images.

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