« Vu du pont », d’Arthur Miller : Tragédie new-yorkaise

Ivo van Hove ressuscite Vu du pont, d’Arthur Miller. Un coup de poing esthétique.

Gilles Costaz  • 14 octobre 2015 abonné·es
« Vu du pont », d’Arthur Miller : Tragédie new-yorkaise
© **Vu du pont** , Odéon-Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier, Paris XVIIe, tél : 01 44 85 40 40, jusqu’au 21 novembre. Photo : Thierry Depagne

Prendre une grande pièce sociale des années 1950 et lui ôter son réalisme méticuleux pour la projeter dans une nouvelle lumière : c’est ce que vient de faire le metteur en scène belge Ivo van Hove avec Vu du pont, d’Arthur Miller. D’abord au Young Vic, à Londres, avec des acteurs anglais, puis, sans changer la mise en scène, avec des acteurs français, à l’Odéon-Berthier.

La pièce se passe dans un quartier ouvrier de Brooklyn. Un docker, qui vit avec sa femme et sa nièce, accueille deux cousins venus de Sicile pour chercher du travail à New York. Ce sont des immigrés clandestins, juste protégés par la solidarité d’une communauté d’origine italienne. Cette solidarité explose quand l’un des cousins a une histoire d’amour avec la nièce. C’est insupportable pour le maître de maison, qui veut continuer à décider de la vie de la jeune fille. Chez ces Latins d’Amérique, le sens de l’honneur s’interprète de plusieurs manières, mais il est violent. Le maître de maison se réfère aux lois de l’hospitalité selon la Bible, les cousins écoutent le sang chaud qui coule dans leurs veines… L’ adaptation de Daniel Loayza est forte (mais pourquoi dire « Béa » comme abréviation de Béatrice, ce qui n’a aucun sens à New York ? Pourquoi écrire « Rodolpho » au lieu de Rodolfo, en méconnaissant la graphie italienne ?). Le spectacle d’Ivo van Hove est stupéfiant. La scénographie de Jan Versweyveld réduit l’espace à un quadrilatère nu et blanc. Les acteurs entrent et sortent comme mûs par une nécessité secrète plutôt que par la volonté de l’auteur. Il suffit de prononcer une phrase pour qu’on comprenne le changement de scène ou que l’un des personnages parle au téléphone.

La succession des événements est compressée, avec quelques rares moments qui, au contraire, étirent le temps autour d’une image intense et sidérante. Charles Berling, dans le rôle du maître de maison, atteint une complexité saisissante. Ses partenaires, Pauline Cheviller, Laurent Papot, Alain Fromager, Nicolas Avinée, Pierre Berriau, Caroline Proust, sont dans la même expressivité brute et profonde. Quelle vérité humaine derrière ce coup de poing esthétique !

Théâtre
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