La belle auto du patron

Benoît Sourty revient en images sur des magnats du textile sacrifiant leurs employés pour leur collection de voitures.

Jean-Claude Renard  • 4 novembre 2015 abonné·es
La belle auto du patron
© **L’Affaire Schlumpf** , lundi 9 novembre, à 23 h 30, sur France 3 (53’). Photo : France Télévisions

Le compte est impressionnant. Cent cinquante-trois Bugatti, 16 Rolls, 8 Hispano-Suiza, 31 Mercedes, 8 Maserati. Fritz Schlumpf ne fait pas les choses à moitié. Le collectionneur s’enorgueillit encore de 30 De Dion-Bouton, 10 Alfa Romeo, 14 Ferrari. Au total, avec son frère Hans, il possède 560 véhicules rares, une dizaine de sociétés, 4 usines de filatures, avec 1 700 ouvriers.

Cet empire s’est construit à la fin des années 1930, quand les frères Schlumpf, de nationalité suisse, investissent dans la laine, en Alsace, à Malmerspach. L’activité des usines s’intensifie pendant la guerre. Ils éviteront de justesse le Comité d’épuration. Dans l’entreprise paternaliste, les affaires vont prospérer durant les Trente Glorieuses, jusqu’à la crise du textile. Mais peu importe. La passion de Fritz Schlumpf, c’est sa collection d’automobiles et le musée qu’il entend lui consacrer, qu’il fait bâtir en secret à Mulhouse, suivant un montage financier douteux. La faillite du groupe tombe la veille de l’ouverture officielle. En octobre 1976, les frères Schlumpf déposent le bilan. L’histoire aurait pu s’arrêter là. Ce n’est pas l’avis des ouvriers, qui décident d’occuper les usines, séquestrent les patrons dans leur villa cossue. Ceux-ci s’en sortiront avec l’aide des CRS et la complicité d’un sous-préfet, tandis que d’autres salariés découvrent le luxueux musée de l’automobile, sidérés, le visitant comme une procession d’enterrement. Le leur. Parce que c’est bien leur sueur qui est exposée là. Et d’occuper alors les lieux, rebaptisés « musée des travailleurs ». Cette occupation, unique dans l’histoire ouvrière, va durer deux ans, entre le 7 mars 1977 et le 22 mars 1979. « Pas de travail, mais un musée » est-il inscrit sur une banderole, à l’entrée, quand d’autres, affichées au capot des voitures, donnent le salaire mensuel des ouvriers, entre 1 550 et 1 980 francs, après 35 ans d’ancienneté.

C’est cette époustouflante bataille pour l’emploi et les droits des salariés, tandis que les Schlumpf, réfugiés à Bâle, narguent leur mandat d’arrêt pour faillite frauduleuse, que restitue Benoît Sourty, croisant les archives rares et les témoignages d’anciens employés, de délégués syndicaux, menant ce récit comme un thriller social. Le récit de patrons fous, dans l’obsession de dominer, de posséder. Leur faillite était estimée à 6 milliards de francs ; la collection à 10 milliards.

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