Le football, terrain de « je »

Dans Football, Jean-Philippe Toussaint se raconte à travers ce sport, qu’il préfère voir avec un regard d’enfant. Touchant l’intime par l’anecdote.

Christophe Kantcheff  • 25 novembre 2015 abonné·es
Le football, terrain de « je »
Football , Jean-Philippe Toussaint, Minuit, 123 p., 12,50 euros.
© NOGI/AFP

Les raisons ne manquent pas de choisir de lire Football, de Jean-Philippe Toussaint, après les jours terribles que nous venons de traverser. D’abord parce que les plaisirs suscités par chacun des livres de ce formidable écrivain – et ce dernier ne fait pas exception – constituent en eux-mêmes une célébration de la vie plus que jamais nécessaire face à ceux qui la nient. Comme la sensualité quasi érotique de la langue telle qu’elle se déploie chez lui doit révulser les fondamentalistes de tout poil ! Ensuite parce que l’objet de ce récit, le football, est un jeu « impie » aux yeux de ceux qui veulent s’exploser dans un stade, et qu’il est plaisant, dès lors, de faire une lecture sacrilège. Le goût de Jean-Philippe Toussaint pour le football remonte à loin ; il l’a déjà laissé paraître dans ses écrits, en particulier dans la Mélancolie de Zidane (Minuit), publié en 2006. Pour autant, tout ne l’intéresse pas : le foot comme « phénomène social ou politique », autrement dit « le football des adultes », l’ « indiffère », précise l’auteur. En revanche, quand certains ressorts psychologiques sont actionnés, trouvant leur origine dans les fantasmes d’enfant, à l’époque où le jeune Jean-Philippe se projetait en champion marquant des buts spectaculaires, alors là, c’est autre chose. En fait, et cela ne surprendra pas de la part d’un écrivain, le football qu’aime Toussaint est aussi ludique que vecteur d’allégorie. « Le football, comme la peinture, selon Leonard de Vinci, est cosa mentale, c’est dans l’imaginaire qu’il se mesure et s’apprécie. »

Il y a donc autant de manières de vivre le football qu’il y a de regardeurs. Par là même, ce Football est un livre très personnel, autobiographique. Football, ou comment toucher l’intime par l’anecdote d’un jeu de balle au pied. On aura compris qu’on ne trouve pas dans ce livre des souvenirs d’exploits sportifs, de brillantes phases de jeu ou de dribbles de Ronaldo – même si l’équipe du Brésil a la préférence de Toussaint en raison de son « jeu d’artiste ». Mais, au contraire, des considérations esthétiques sur les couleurs des maillots nationaux ; le récit du jour où, à 11 ans, l’auteur s’est cassé un bras en jouant un match, le médecin des urgences expliquant à son père qu’il fera tout pour éviter une « réduction sanglante »  ; ou encore les impressions tirées de son séjour au Japon pour suivre la Coupe du monde 2002 qui s’y déroulait. Là, quand il assiste à une rencontre, il décrit ce qui se passe dans les gradins plutôt que sur la pelouse, source d’un plus grand étonnement. « Alors qu’en Europe les supporteurs de football sont majoritairement masculins, violents, racistes, pleins de bière ou avinés, au Japon, c’est un public doux et raffiné, sensible, intelligent et cultivé, ou, pour le dire différemment, en Europe, le football est affaire d’hommes, tandis qu’au Japon ce serait plutôt, comme dans les naufrages, les femmes et les enfants d’abord. »

Le football ne prédisposerait pas à l’humour ? Jean-Philippe Toussaint a gardé le sien, notamment quand il se décrit en supporter de l’équipe de Belgique, son pays. Son chauvinisme relève d’un « nationalisme ironique ». Un « oxymore », note-t-il, « une fanfaronnade gamine et euphorique ». Cependant, le livre marque une baisse d’intérêt pour le foot au fil des années. Les pages a priori consacrées à la Coupe du monde de 2010 content en réalité tout autre chose. Et, si le football réapparaît dans le chapitre suivant et conclusif, c’est comme par effraction, alors que Jean-Philippe Toussaint y évoque le deuil et les difficultés qu’il a vécus en 2014, livrant ainsi plusieurs pages magnifiques sur l’écriture et la création. La vie se fait plus grave, la mélancolie plus grande. Et se détache cette phrase écrite plus haut dans le livre, qui en est en réalité le cœur : « Je fais mine d’écrire sur le football, mais j’écris, comme toujours, sur le temps qui passe. »

Littérature
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