L’écologisme des femmes

Dans beaucoup d’endroits, l’eau et l’énergie sont une affaire de femmes.

Jean Gadrey  • 11 novembre 2015 abonné·es

De même qu’il existe dans le monde un « écologisme des pauvres », objet d’un livre essentiel de Joan Martinez Alier [^2], on pourrait parler d’un « écologisme des femmes », sans pour autant y voir des qualités qui seraient « féminines » par nature. Martinez Alier montre que les enjeux environnementaux sont conflictuels et que, dans bien des cas, les groupes dominés sont en pointe dans la défense d’un environnement naturel crucial à leurs yeux – crucial d’une part pour vivre en utilisant ces biens communs et en en prenant soin, crucial d’autre part parce qu’ils sont les principales victimes du mal-environnement.

Malheureusement, ce livre est assez indifférent au genre, en dépit d’une section « genre et environnement » inspirée des thèses de l’économiste indienne Bina Agarwal (p. 464-468, ce qui fait peu dans un livre de 670 pages). Voici pourtant des exemples récents du rôle de mouvements de femmes dans la défense de l’environnement. Les femmes ont été le fer de lance du mouvement contre les gaz de schiste dans le Sahara algérien. Elles savaient que la fracturation hydraulique allait polluer les eaux de l’immense nappe phréatique dont dépend la vie dans les oasis. Et, ici comme dans beaucoup d’autres endroits du monde, l’eau est une affaire de femmes (et d’enfants), tout comme l’approvisionnement du foyer en énergie (biomasse, dont bois). En Amérique latine, les femmes sont également en pointe contre « l’extractivisme », les grands projets miniers et pétroliers, qui instaurent dans les communautés une économie productive hautement masculinisée, accentuant la division sexuelle du travail existante. Comme l’affirme la sociologue argentine Maristella Svampa, la présence des femmes dans les luttes sociales et environnementales a fait naître un nouveau langage concernant la valorisation des territoires, un langage fondé sur « l’économie du soin ».

Dans les pays dits développés, les femmes ont été, par exemple au Japon, à l’origine du système des Amap dès les années 1960, et on retrouve une forte proportion de femmes paysannes dans ces initiatives en France, mais aussi dans les systèmes d’échanges locaux (SEL), les monnaies locales, les cuisines collectives et sociales, etc. Mentionnons dans l’actualité en France les travaux de l’association Adéquations, membre du groupe Genre et Justice climatique [^3], qui affirme : « Les politiques concernant l’atténuation et l’adaptation au réchauffement climatique global seront plus efficaces en prenant en compte l’égalité des femmes et des hommes. »

Il faut voir dans ces constats d’actions collectives où des femmes sont en pointe non pas des qualités féminines intrinsèques, mais des avancées sociales à la fois pour l’environnement et pour l’égalité entre les sexes. L’« écologisme des femmes » a une vocation universelle, tout comme celui des paysans sans terre ou celui des communautés contre l’extractivisme, au Sud comme au Nord.

[^2]: Les petits matins/Institut Veblen, 2014 pour la traduction française.

[^3]: www.adequations.org, lire « COP 21, femmes, genre et climat et son affirmation » et « Position d’associations françaises sur femmes, genre et justice climatique ».

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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