Le trouble jeu des socialistes

Avec 27,73 %, le FN a crevé ses plafonds. Plutôt que d’interroger ses responsabilités dans cette catastrophe électorale, le PS préfère minorer le désastre et se poser en rempart.

Michel Soudais  • 9 décembre 2015 abonné·es
Le trouble jeu des socialistes
© Photo : TRIBOUILLARD/AFP

La situation est sous contrôle. Tel est en substance le message délivré dimanche soir sur TF1 par le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, quelques minutes après 20 heures : « Si je regarde [le] rapport de force, le total de la gauche, qu’on disait en difficulté, doit dépasser les 36 % et en fait le premier parti de France », a-t-il assené. L’affirmation est osée. Et il fallait bien l’aplomb du ministre de l’Agriculture, un fidèle entre les fidèles du chef de l’État, pour feindre ainsi d’ignorer les divisions entre socialistes, écologistes et Front de gauche, et lancer dans la foulée « un appel au rassemblement de la gauche » pour le second tour. Un message porté sur d’autres antennes avec la même effronterie par Jean-Marie Le Guen, ministre des Relations avec le Parlement.

Ce n’est pas un hasard si ces deux-là ont été les seuls membres du gouvernement autorisés à s’exprimer sur les plateaux de télévision. Face à la poussée attendue du Front national, qui devait relancer les discussions sur les moyens de faire barrage à l’extrême droite, et pour pallier toute « cacophonie entre socialistes », le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Bruno Le Roux, et son homologue du Sénat, Didier Guillaume, avaient sommé par SMS les cadres et parlementaires du PS « d’attendre [la réunion du] bureau national pour s’exprimer sur les régions à risque frontiste ». Les trois gardiens de Solférino, en plein accord avec l’Élysée et Matignon, voulaient éviter « une soirée freestyle ». En attendant, la mission des deux ministres était on ne peut plus simple : nier tout désaveu de la politique du gouvernement et, s’il faut reconnaître que les listes conduites par le PS sont distancées, incriminer la dispersion de la gauche et elle seule. Un disque rayé à force d’avoir trop tourné sur les platines de Solférino après le 21 avril 2002, quand Lionel Jospin, arrivé troisième au premier tour de la présidentielle qui devait le sacrer face à Jacques Chirac, en avait été éliminé par Jean-Marie Le Pen.

À l’époque, le candidat du FN avait rassemblé 4,8 millions de voix et 16,86 % au premier tour, 5,5 millions et 17,79 % au second. Dimanche, l’extrême droite a crevé tous ses plafonds en rassemblant sur ses listes un peu plus de 6 millions de voix et 27,73 % des suffrages exprimés. Elle est arrivée en tête dans six des douze nouvelles régions de l’Hexagone et dans quelque 19 000 communes de France. Elle peut se maintenir au second tour dans toutes les régions et espérer en gagner deux à trois : l’Alsace-Champagne-Ardenne/Lorraine avec Florian Philippot (36,06 %), le Nord-Pas-de-Calais/Picardie avec Marine Le Pen (40,64 %) et Provence-Alpes-Côte d’Azur avec Marion Maréchal-Le Pen (40,55 %). Si cela devait se produire, ce serait la première fois qu’une région en Europe serait gouvernée par l’extrême droite seule. Comment a-t-on pu en arriver à cette catastrophe ? La question n’a même pas été évoquée lors du bureau national du PS dimanche soir. Ses membres ont simplement été informés du contenu de la déclaration que Jean-Christophe Cambadélis allait faire à la presse à l’issue de la réunion, et priés de l’approuver à l’unanimité. Selon des témoins, la décision de retirer les listes PS dans les trois « régions à risque FN où la gauche ne devance pas la droite » avait été prise entre 18 heures et 20 heures par François Hollande et Manuel Valls. Restait au premier secrétaire le soin d’expliquer le sens de ce « barrage républicain » et combien cette décision prouvait la responsabilité du PS face à l’extrême droite… Un « sacrifice » pour solde de tout compte, en somme, qui évite d’interroger les responsabilités de sa ligne économique et sociale.

Dimanche, un électeur sur deux (50,09 %) a de nouveau boudé les urnes. C’est un peu moins que lors des régionales de 2010 (53,67 %), mais un peu plus qu’aux élections départementales de mars dernier (49, 83 %). Les appels à voter du gouvernement, lequel avait fait du bulletin de vote, ces derniers jours, « une arme de résistance » face au terrorisme, n’ont eu, au mieux, qu’un effet limité. Et cette démobilisation électorale affecte principalement l’électorat de gauche. Quand les classes populaires ne viennent plus voter, on serait curieux d’entendre les explications des idéologues de Terra Nova qui ont conseillé aux socialistes, avec un succès certain, de se désintéresser desdites classes. Dans un pays qui compte 5,7 millions de chômeurs, toutes catégories confondues, dont seulement 3 millions environ sont indemnisés, plus de 2,4 millions de personnes au RSA, près d’1,3 million de personnes sans travail, sans aucune aide sociale (que les économistes appellent le « halo du chômage »), et plus largement 9,4 millions de victimes du sous-emploi (32,8 % de la population active), comment peuvent être reçus les discours minorant la gravité de cette situation économique ou annonçant rituellement une reprise de la croissance qui ne vient jamais ? Au mieux, ils suscitent l’indifférence. Au pire, un violent rejet des politiques qui se sont succédé depuis trente ans au pouvoir. Le FN en fait son miel.

Certes, le parti de Marine Le Pen a profité de la peur suscitée et attisée par les attentats, comme n’a pas manqué de le rappeler Jean-Christophe Cambadélis, mais les intentions de vote en sa faveur étaient déjà à un très haut niveau avant le 13 novembre. Or, le tournant sécuritaire de l’exécutif reprenant à son compte la déchéance de la nationalité pour les binationaux nés Français, dénonçant « la culture de l’excuse » et liant implicitement réfugiés et terroristes, a contribué à valider son discours auprès de ceux qui voulaient voter FN, et à brouiller les derniers repères. À écouter nos deux ministres détachés sur les plateaux de télévision dimanche, les socialistes étaient satisfaits. Satisfaits de constater qu’avec 23,1 % de moyenne nationale leurs listes font quasiment le même score qu’en 2010, quand ils avaient gagné toutes les régions sauf l’Alsace au second tour. Satisfaits également de noter que la droite, pourtant unie, fait à peine mieux (26,65 %) qu’en 2010 où son score (26,02 %) constituait un sérieux revers électoral. De quoi espérer conserver, grâce aux réserves de voix EELV et Front de gauche, plus de régions que prévu. Avec un discours simple : « La gauche est le dernier rempart de la France républicaine contre l’extrême droite xénophobe. » Lancé dimanche par Jean-Christophe Cambadélis, il préfigure la carte que compte jouer François Hollande dans dix mois. Tout va bien…

Politique
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