« On n’est pas qu’un restaurant »

Cuisinier au parcours original, installé à Quimper, Xavier Hamon encourage la réorientation de l’agriculture bretonne.

Jean-Claude Renard  • 16 décembre 2015 abonné·es
« On n’est pas qu’un restaurant »
Le Comptoir du théâtre, 4, bd Dupleix, 29000 Quimper.
© Photo : Xavier Hamon inclut les enjeux paysans dans l’économie de son établissement. DR

Étirée au-dessus de la mer, au cœur de la Bretagne, la Cornouaille se veut de tradition rurale. Jusqu’à l’après-guerre, la région affichait des conditions de vie et de travail difficiles, avec des paysans la tête maintenue dans la boue par l’Église, tandis que les conserveries prospéraient déjà. Au cours des Trente Glorieuses, un autre monde se met en branle. La Cornouaille se trouve une capacité de production exponentielle. Les fermes s’agrandissent, les industries alimentaires habillent le paysage, animées par une poignée de familles (telles Leclerc, Bigard et Ranou). Les filières s’installent, les abattoirs fleurissent, l’élevage porcin s’intensifie (pour atteindre 60 % de la production nationale, avec 14 millions de porcs en 2012), cependant que les paysans sont dépossédés de leur savoir-faire, soumis aux aléas d’une économie à grande échelle.

Voilà de quoi interpeller Xavier Hamon, cuisinier installé au Comptoir des halles, humble caboulot dans le ventre gourmand de Quimper. Longtemps, ce petit-fils de paysans et d’artisans songe, « comme tout le monde, qu’il n’y a pas d’alternative, et pas grand-chose à faire contre cette fatalité », jusqu’à ce qu’il rencontre un chapelet d’irréductibles, « de petits paysans exerçant autrement, certains appuyés sur la biodynamie, retrouvant une dignité à travailler à la ferme, se réappropriant des connaissances, en osmose avec leur environnement, avec une autre vision du territoire, à l’écoute des cycles de la nature et des sols ». On y produit peu, mais bien, une infinité de races rustiques, des légumes oubliés. Rencontre déterminante pour le casseroleur, séduit par « une démarche qui ne laisse pas de place aux compromissions ; dans une certaine mesure, c’est assez confortable ! ». Mais il s’agit surtout « de ne pas s’isoler du monde ». Et de construire alors un modèle d’établissements, les Palais de Cornouaille, sous l’égide du mouvement italien Slow Food, adapté au terroir breton, incluant les enjeux paysans dans l’économie du restaurant, suivant une éthique et la charte internationale de l’Alliance Slow Food des chefs : privilégier un choix de consommation durable, un rapport direct avec les petites structures, la production locale, le savoir-faire gastronomique et artisanal, valoriser une éducation au goût, « parce qu’on n’est pas qu’un restaurant ». Une démarche à rebours des filières agroalimentaires, peu évidente dans un milieu qui ne se pose pas toujours la question de la fabrication des produits, même parmi les étoilés. « Peu ont conscience de leur rôle dans la chaîne alimentaire », constate Xavier Hamon. L’association compte maintenant une quarantaine de membres, consommateurs, producteurs et restaurateurs. Reste à convaincre le monde maritime, principal fournisseur des tables de Cornouaille. Un pari délicat pour un univers possédant ses propres codes.

Le grand gaillard aux allures d’albatros, au phrasé doux et au visage de poupon, revient de loin. Formé à l’école hôtelière de Dinard, il tâte de la casserole à Paris, puis dans le Sud, avant de prendre la direction d’un traiteur nantais. Il n’y trouve pas le sacerdoce que réclame Pierre Troisgros, quand il postule à Roanne. Il éteint les feux et entame une formation d’infirmier. Il exerce huit ans en psychiatrie. Un autre casseroleur, Jacky Dallais, installé en Touraine, l’invite à retourner aux fourneaux. Affaire de transmission. Et vocation renaissante. Xavier Hamon revient alors sur ses terres pour ouvrir le Comptoir des halles. On est en 2004. Dix ans plus tard, l’été dernier, il ouvre le Comptoir du théâtre. Un nouvel élan. À la carte, une cuisine de saison et responsable. Boudin noir de porc blanc de l’Ouest et langoustines rôties ; grondin de ligne, choux et lard rôti ; tartare de veau, huîtres naturelles, coques, feuilleté sarrasin et reinette d’Armorique ; crème de safran et sirop de cidre de Cornouaille. Dans chaque assiette, au moins cinq légumes… Sachant d’où viennent les produits, et comment ils sont fabriqués.

Temps de lecture : 3 minutes