Michel Delpech, un paradis perdu

Le chanteur est mort ce 2 janvier, laissant derrière lui une œuvre populaire qui ne manquait pas d’élégance.

Jean-Claude Renard  • 4 janvier 2016
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Michel Delpech, un paradis perdu
© Photo: Michel Delpech, le 1er mai 2007 sur la scène du stade Charletty, lors du rassemblement de soutien à Ségolène Royal, candidate à l'élection présidentielle (ERIC FEFERBERG / AFP).

« J’ai mon rhumatisme/Qui devient gênant** /Ma pauvre Cécile/J’ai 73 ans. »*

Michel Delpech n’aura pas eu le temps d’atteindre les 73 ans. Il s’est éteint ce samedi 2 janvier. A l’âge de 69 ans. Ecrite par Jean-Michel Rivat et lui-même, en 1975, Quand j’étais chanteur n’a pas eu l’effet d’une prémonition. On aurait bien aimé. La chansonnette encore un peu. Un bis pour la route. Delpech est parti avant. C’est ballot parce que cette chanson populaire, pur jus, en 3 minutes et 37 secondes, avec sa musique lancinante, récitative, son phrasé obsessionnel, comme une ritournelle toujours recommencée, qui n’en finit jamais d’une relance l’autre, qui s’accroche, cette chanson lui ressemble furieusement. Quand j’étais chanteur pourrait bien être une métonymie de Michel Delpech. Avec ses succès, ses bolides, ses années Barclay. « J’avais des boots blanches/Un gros ceinturon/Une chemise ouverte/Sur un médaillon/C’était mon sourire/Mon atout majeur/Je m’éclatais comme une bête/Quand j’étais chanteur. »

Années fastes, années prodigues. Michel Delpech a enchaîné les succès, dès 1964. Chez Laurette  ; Pour un flirt  ; le Chasseur  ; le Loir-et-Cher  ; Wight is Wight  ; Que Marianne était jolie . Des titres qui fleurent bon l’eau de rose, oscillant parfois entre kitch et naïveté, flanqués de nostalgie (l’imparfait étant le mode le plus emprunté par le chanteur). Des titres et des paroles, qui racontaient la vie, au demeurant simples, mais tirées vers le haut, et qui, curieusement touchaient juste, calés dans l’émotion. Prix et récompenses se sont accumulés. Salles combles. « Un soir à Saint-Georges/Je faisais la kermesse/Ma femme attendait/Planquée, dans la Mercedes/Elle s’est fait j’ter dans l’Indre/Par tout mon fan-club/J’avais une vie d’dingue/Quand j’étais chanteur. »

Delpech a accumulé les tournées, occupé les grandes scènes et le petit écran, dans les Glorieuses de Maritie et Gilbert Carpentier. Sous le temps du Général, de l’ère pompidolienne, puis du giscardisme, épousant d’abord une France corsetée découvrant une modernité sociétale balbutiante, rebondissant aussi sur le mouvement de retour à la terre alors en vogue ( le Loir-et-Cher ), ce sont des moments bénis, aux coups permis. « Les gens de la police/Me reconnaissaient/Les excès de vitesse/Je les payais jamais/Toutes mes histoires/S’arrangeaient sur l’heure/On m’pardonnait tous mes écarts/Quand j’étais chanteur. »

Pattes d’éph et moustaches comprises.

Mais Michel Delpech est trop intelligent pour s’en satisfaire. Il sait que la réalité n’est pas là ( les Aveux ). Tombe la dépression (une séparation amoureuse y aidera, certes). La maladie mime une traversée du désert. Les idoles, jadis intouchables, sont bientôt déboulonnées, tels des bouddhas obèses mis au régime forcé. Les icônes n’existent plus.
« J’ai appris que Mick Jagger/Est mort dernièrement/J’ai fêté les adieux de Sylvie Vartan. »
Delpech se reconstruit dans la religion, le bouddhisme pout tenter, le catholicisme pour se confirmer. Au fil des années, il remonte la pente. Les titres vont s’additionner, épisodiquement. Le succès demeure, celui d’antan a fui. Fragile phalène sur les rives du Styx. « Pour moi, il y a longtemps qu’c’est fini/J’comprends plus grand-chose, aujourd’hui/ Mais j’entends quand même des choses que j’aime/Et ça distrait ma vie. »

Oublié Delpech ? Pas tout à fait. En 2007, il est en duo avec Christophe, pour une interprétation amicale, sublime, coliséenne de Loin d’ici (tous deux avaient déjà orchestré ensemble une éblouissante Senorita, en 1976 (http://www.wat.tv/video/christophe-michel-delpech-1s3g02fgqp.html).

Deux ans plus tard, il est invité par Bénabar pour une pige d’honneur : Quand j’étais chanteur .

La voix est devenue plus rauque, et mature. Le poids des ans sans doute. Michel Delpech n’a rien perdu de son charme ; mais ce charme est autre. Plus rond, plus poivre et sel. Pour un peu, il réveillerait les ardeurs de ses fans, pas gênés de marcher dans la boue, en quête d’un vol d’oiseau parmi les chasseurs, d’une romance chez Laurette. Ils sont encore nombreux à vouloir mirer l’idole, avec ou sans ses boots et son ceinturon. Toujours populaire Delpech, qui passe des salles de concert aux salles des fêtes. Le gosse de Courbevoie, rejeton d’un chromeur de métaux et d’une femme au foyer, énamouré de Luis Mariano, qui se serait bien vu en chanteur de rock « pour que tout flambe » , aurait aimé retoucher ses chansons comme un peintre revient sur sa toile. Loin d’un crétin des années yéyé, il se montre ironique, mais sans amertume, sur son piédestal passé, conscient d’avoir livré « des chansons de journalistes » , en fait-diversier et chroniqueur social, puisant son inspiration dans la presse ( Ce lundi-là ; les Divorcés ).

En 2011, le chanteur fait l’acteur. Sobre, aux côtés de Catherine Deneuve, dans les Bien-aimés , de Christophe Honoré, avant de jouer son propre rôle, largement romancé dans un film de Grégory Magne et Stéphane Viard, l’Air de rien . Une fiction passée inaperçue, pourtant bien troussée, imaginée. Delpech ne crève pas l’écran, mais il joue juste, tout en retenue, une histoire de vieux chanteur endetté. Avec cette voix encore. Envoûtante. Cette voix justement. L’artiste est touché d’un cancer de la langue et de la gorge. Va-t-on fourguer la maladie de Parkinson à un sculpteur ? ! « Je fais d’la chaise longue/Et j’ai une baby-sitter/Je traînais moins la jambe/Quand j’étais chanteur. » Il faudra désormais s’habituer à parler de Michel Delpech à l’imparfait.

Musique
Temps de lecture : 5 minutes
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