L’humanité par le trou de la serrure

Servie par d’excellents comédiens, une comédie politique jubilatoire. Et pleine de gravité.

Anaïs Heluin  • 24 février 2016 abonné·es
L’humanité par le trou de la serrure
© **L’Art de la comédie**, d’Eduardo de Filippo (trad. Huguette Hatem), mis en scène par Patrick Pineau, le 26 février au Théâtre de l’Arsenal, Val-de-Reuil (27) ; du 1er au 5 mars au Théâtre Dijon Bourgogne (21) ; le 8 mars au Salmanazar, Épernay (51). Photo : Philippe Delacroix

Avec ses échafaudages et ses quelques meubles encore recouverts de leur plastique d’emballage, le plateau de L’Art de la comédie d’Eduardo de Filippo, monté par Patrick Pineau au nouveau Théâtre-Sénart, dont il est artiste associé, ressemble à la moustache que se colle Oreste Campese lorsqu’il joue Macbeth. « Un peu de travers exprès. Car au théâtre, la parfaite vérité, c’est et ce sera toujours la parfaite fiction. »

Rien de napolitain dans la scénographie conçue par Sylvie Orcier. Rien non plus qui évoque les années 1960, où Filippo (1900-1984) situait sa pièce. Le minimalisme métallique et brinquebalant de Patrick Pineau évoque la tradition du théâtre de tréteaux. Son économie de bouts de ficelle, qui demande aux artistes énergie et talent de conteurs. Dans le vide et la froideur de leur décor, les huit acteurs de cet Art de la comédie font preuve de ces qualités : ils remplissent l’espace austère de leurs bouffonneries tragiques. -Installent dans le vide un délicieux trop-plein.

Dans le rôle du chef de troupe et acteur Oreste Campese, le comédien et dramaturge Mohamed Rouabhi incarne avec une grande justesse le mélange d’ascèse et d’excès qui fait le charme de la pièce. Dès lors que se dessine la -confrontation entre la logique de l’art – incarnée par Oreste Campese – et celle de l’État – représentée par le nouveau préfet d’un village de province (Fabien Orcier), à qui le premier vient demander de l’aide après l’incendie de sa roulotte –, les limites entre fiction et réalité se brouillent. Une inquiétude se profile, d’autant plus troublante qu’elle est portée par un jeu vif et chaleureux.

Après une conversation houleuse sur la fonction du théâtre, le secrétaire du préfet (Christophe Vandevelde) donne par erreur au comédien itinérant la liste des personnes que doit recevoir le préfet dans l’après-midi. Un médecin (Manuel Le Lièvre), un curé (Marc Jeancourt), une institutrice (Sylvier Orcier), un pharmacien (Nicolas Bonnefoy)… On pense, bien sûr, aux Six Personnages en quête d’auteur de Pirandello. Mais, chez Eduardo de Filippo, la mise en abyme est moins intellectuelle. Plus ludique et sensuelle.

Patrick Pineau et sa troupe rendent justice au sens du carnavalesque développé par l’auteur italien dès ses premières pièces. Défilé de personnages grotesques et absurdes, dont on ne sait s’ils jouent ou non un rôle, cet Art de la comédie correspond pleinement à la définition du théâtre d’Oreste Campese : il donne à voir « l’humanité par le trou de la serrure ».

Théâtre
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