Moi, Président jusqu’au bout

Le remaniement ne changera en rien le cap du gouvernement, a expliqué hier à la télévision un François Hollande plus que jamais réfugié derrière sa fonction.

Michel Soudais  • 12 février 2016
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Moi, Président jusqu’au bout
© Photo: STEPHANE DE SAKUTIN / POOL / AFP

L’entretien télévisé du chef de l’État, hier soir, était en tout point conforme à la loi du genre sous la Ve République. L’invité n’était pas François Hollande mais Gilles Bouleau (TF1) et David Pujadas (France 2). Nos deux confrères l’ignoraient d’ailleurs si peu qu’ils ont commencé par remercier leur hôte de les « accueillir » en son palais. Son dernier refuge, est-on tenté d’écrire.

Que retenir de ces trente-trois minutes de conversation ? D’abord que le remaniement intervenu quelques heures plus tôt ne changera pas l’orientation économique du gouvernement. Ce dernier « va continuer » à baisser les charges et cotisations a annoncé François Hollande, « parce que c’est la façon de donner des marges aux entreprises pour qu’elles investissent et qu’elles embauchent ». Mais comme « ça ne suffit pas, a-t-il ajouté, il faut aussi pour augmenter les marges que le marché du travail soit plus souple et que les entreprises n’aient plus peur d’embaucher ». Le chef de l’État est prêt pour cela à donner « plus de place » aux accords d’entreprises et « introduire le référendum d’entreprise quand il y a blocage », ce qui aura pour effet de briser les conventions collectives, de contourner et affaiblir les syndicats.

Tout à ses recettes libérales, le Président n’imagine que deux solutions pour répondre à la crise des éleveurs de porcs et des producteurs de lait : baisser encore les cotisations sociales de tous les agriculteurs, ce qui fragilisera un peu plus la protection sociale, et simplifier les normes qui ne relèvent pas de la protection du consommateur.

On touche là les limites de l’arrivée au gouvernement de trois ministres « écologiques ou écologistes comme on voudra », François Hollande ne sait trop de quelle manière les qualifier. À l’entendre, même l’annonce d’un référendum local sur l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes « avant octobre », référendum dont il ne semble pas douter qu’il validera ce grand projet inutile, ne doit rien à leur arrivée : « Je ne négocie pas, ne troque pas telle ou telle entrée au gouvernement contre tel ou tel renoncement », a-t-il insisté. Interrogé sur le cas d’Hélène Geoffroy, députée maire de Vaulx-en-Velin, qui venait de voter contre le projet de loi constitutionnelle, et nouvelle secrétaire d’État chargée de la Ville, le Président a d’ailleurs eu ce mot, révélateur de l’autonomie d’un ministre :

Allant au gouvernement, venant au gouvernement elle respectera bien sûr les décisions que JE prends.

Si l’on peut admettre que François Hollande ne négocie pas – Emmanuelle Cosse l’a confirmé vendredi matin au micro de France inter, annihilant le seul motif qui aurait pu justifier sa trahison aux yeux des militants écologistes –, on n’imagine pas un seul instant qu’il ne fasse « pas de calcul politique », comme il a cru nécessaire de l’affirmer à deux reprises. Le président de la République est trop fin politique pour ignorer qu’en appelant Jean-Vincent Placé il enlève aux écolos le dixième sénateur qui leur assurait d’avoir un groupe au Sénat, ni qu’en débauchant la secrétaire nationale d’EELV il accroît la fracture du camp écologiste et discrédite un peu plus l’alternative que cette famille politique veut représenter.

Le Président n’est pas plus crédible lorsqu’il soutient ne pas penser à sa réélection. Comme si son remaniement très calculé n’était pas guidé par cet objectif. Cela lui permet certes de récuser (définitivement) toute participation à une quelconque primaire – « Il y a ce que font les partis, c’est leur rôle, et ce que j’ai à faire c’est à réformer jusqu’au bout. » –, mais cette manière de se draper dans la fonction – « Il faut être président et je serai pleinement président jusqu’au bout. » – est elle-même un calcul. Un artifice pour repousser le moment où il lui faudra rendre des comptes aux électeurs, et d’abord à ceux qui, pour l’avoir élu, s’estiment floués.

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