Pessimisme et controverses

La Bourse chinoise reprend son yoyo, la monnaie du Brésil s’écroule.

Gérard Duménil  • 24 février 2016 abonné·es

La période actuelle se caractérise par l’expression d’une inquiétude grandissante des économistes. Et aux États-Unis, comme souvent, ils sont à l’avant-garde de cette prise de conscience et manifestent un grand mépris pour les politiques menées en Europe.

Quelle inquiétude ? Un premier aspect a trait aux rythmes de croissance. Depuis la sortie de la récession de 2008-2009, les États-Unis affichent des taux de croissance d’environ 2 %. Mais les indicateurs calculés par le Congrès indiquent que l’économie du pays fonctionne à des niveaux inhabituellement inférieurs à ceux que laisseraient escompter les matériels, les installations accumulées et le travail disponible. De ce fait, une controverse importante en résulte, et chacun refait ses calculs à coup de modèles économétriques. Certains veulent relier cette efficacité perdue au ralentissement de la croissance de la productivité du travail d’une manière qui me paraît fort peu convaincante.

Le deuxième champ, qui s’est ouvert plus récemment, est la possible survenue d’une crise financière : la Bourse fléchit (cela fait plusieurs années qu’elle se maintient à des niveaux élevés) et la situation des banques est jugée inquiétante. Ce n’est plus la croissance faible qui est ici en question, mais un possible effondrement. L’un n’excluant pas l’autre.

On soutenait jusqu’à une date récente que les Brics (1) avaient pris le relais, ce qui permettait aux investisseurs du centre de faire de juteux profits ailleurs. Mais là aussi les signaux sont au rouge : la Bourse chinoise reprend son yoyo (2), la monnaie du Brésil, autre lieu bien connu de profits financiers (3), s’écroule. Alors, où placer ses fonds en sécurité ?

Au sein de la gauche radicale, le pessimisme ambiant ranime les vieux diagnostics : taux de profits en chute, salaires insuffisants, austérité budgétaire ?

Les entreprises seraient-elles étranglées par la baisse des profits ? Ayant passé dix ans de ma vie à mesurer les taux de profit, et ayant imputé à leur chute deux crises structurelles (dans les années 1890 et 1970), je me sens autorisé à dire que tel n’est pas le cas. Les profits des sociétés états-uniennes sont très forts. Ils représentent aujourd’hui plus de 5 % du PIB, un niveau record qui n’avait été atteint que dans les années 1960. La demande émanant des salariés serait trop faible. Certes, la part des salaires dans le total des revenus a un peu baissé. Ni les profits (notamment les dividendes) ni les hauts salaires n’ont pourtant souffert de cette prétendue insuffisance de la demande. Quant à l’austérité, on se gardera de l’amalgame. Comme les économistes « keynésiens » des États-Unis le claironnent : il y a effectivement une politique d’austérité criminelle en Europe. La banque centrale des États-Unis a bien diminué son rythme de financement des déficits publics après que le gros de la crise de 2008 fut passé, mais on ne saurait y parler d’austérité comme en France ou en Grèce.

Excès d’optimisme avant 2008 – excès de pessimisme ou de clairvoyance aujourd’hui ? À voir.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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