Crise des réfugiés : Ouvrir des voies légales

Face à une crise migratoire d’une ampleur historique, les défenseurs des migrants réclament une politique européenne coordonnée et le respect du droit international et humanitaire.

Ingrid Merckx  • 13 avril 2016 abonné·es
Crise des réfugiés : Ouvrir des voies légales
© ALESSANDRO DI CIOMMO / NURPHOTO

Martine a pris l’avion pour Hambourg. Elle a laissé les plus jeunes et les sans-papiers se serrer dans les voitures. Ils étaient une quinzaine de la Coalition internationale des sans-papiers et migrants (CISPM) à se rendre à cette première Conférence internationale citoyenne des réfugiés et migrants, qui s’est tenue du 26 au 28 février. Soit le même nombre que pour le Forum social de Tunis en 2015, quand ils s’étaient fait refouler à l’arrivée et renvoyer dans le ferry du retour. À Hambourg, rien à voir. « On a été reçus comme des rois, s’exclame la militante, près de 1 600 personnes se sont rendues au théâtre Kampnagel pour assister aux ateliers : état psychologique des migrants, mineurs isolés, critique de l’accès limité aux cours de langue, autocritique des relations de pouvoir et de solidarité, lutte collective face au racisme et à la terreur nazie à Cologne, défi de l’auto-organisation, violence aux frontières (Calais, Maroc), résistance à une expulsion, débat sur le sexisme… »

Cet événement inédit a été lancé par le groupe Lampedusa de Hambourg, en collaboration avec des migrants de Berlin, de Hanovre et de la CISPM. « L’objectif est de promouvoir un réseau de réfugiés et de migrants et de créer une plateforme de réflexion et d’apprentissage », ajoute Martine. Billets d’avion, hébergement : « Cette conférence était à l’image de l’accueil que reçoivent les migrants en Allemagne. Cependant qu’en France, à Calais, au mieux, on les entasse dans des conteneurs de 14 m2 pour 12. »

L’Allemagne a reçu près de 400 000 demandes d’asile en 2015. Le Canada, lui, a accueilli 25 000 Syriens : « C’est un pays protégé par l’océan, tous les réfugiés arrivent sur volonté du gouvernement », plaide Alice, avocate canadienne installée en France. Des programmes privés de parrainage se sont également développés dans le pays. Alice s’est associée à un groupe d’amis afin de collecter les 25 000 dollars nécessaires pour parrainer l’installation d’une famille syrienne via l’organisation agréée Lifeline Syria. L’année prochaine, elle espère réunir cette somme seule en vue de soutenir une famille supplémentaire.

Et en France ? Combien de réfugiés syriens et irakiens a-t-on accueillis sur les quelque 24 000 annoncés par François Hollande le 7 septembre 2015 ? « On parle de 300 relocalisations,dit Gilbert Potier, directeur général de Médecins du monde (MDM)_. De nombreux réfugiés ne demandent pas l’asile. Beaucoup cherchent à passer en Allemagne, en Angleterre ou en Suède. Et nombre d’entre eux sont expulsés. Ils échappent aux statistiques. Les quelques villes accueillantes – Rennes, Blois, Clermont-Ferrand – sont des exceptions. On gère l’urgence et des points névralgiques, comme le Nord-Pas-de-Calais, Vintimille et Paris. Ce chiffre absurde de 24 000 est le résultat d’une répartition faite lors d’un sommet européen par 14 pays de l’Union sur 28. Sachant que l’Allemagne en a pris la moitié. Aujourd’hui, Bernard Cazeneuve donne une fourchette comprise entre 25 000 et 30 000… »_

D’après un rapport de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars) de mars 2016, 2 665 personnes auraient été accueillies dans les 102 centres d’accueil et d’orientation (CAO) mis en place pour les migrants en novembre 2015. Au 31 décembre, 80 % d’entre eux avaient déposé une demande d’asile, 5 % étaient des réfugiés en attente d’un hébergement pérenne et 500 étaient repartis sans laisser de traces. « Il faut replacer les chiffres dans leurs justes proportions !, s’agace Marie-Christine Vergiat, députée européenne (FdG). Un million de personnes ont traversé la Méditerranée en 2015. La guerre en Syrie a engendré le plus grand nombre de déracinés jamais enregistré. Et, sur les 60 millions de réfugiés dans le monde, 11,5 millions sont syriens, et plus de la moitié se sont déplacés à l’intérieur de la Syrie. Le Liban doit accueillir l’équivalent de 25 % de sa population, et l’Europe seulement 0,2 % ! » Le flux migratoire serait sensiblement le même qu’entre 2000 et 2010, avant la crise. On est loin de « l’invasion » brandie par certains.

« Le plus triste est que l’Europe aurait parfaitement les moyens de se montrer plus accueillante, tout en réduisant le chômage, déclare sur son blog, le 31 mars, l’économiste Thomas Piketty. Il faudrait pour cela que l’Europe, et particulièrement la zone euro, menée par l’Allemagne et la France, suive une meilleure politique (moratoire sur les dettes publiques, relance économique, investissement dans la formation et les infrastructures, impôt commun sur les grandes sociétés, Parlement de la zone euro). »

La France a enregistré environ 80 000 demandes d’asile en 2015. Et Calais est le symptôme d’une absence de politique, sinon défensive. « La France instrumentalise la question des réfugiés, s’indigne Marie-Christine Vergiat. Surtout, elle viole la Convention de Genève et celle des droits de l’enfant en refusant un accueil digne aux migrants, en empêchant une centaine de mineurs isolés à Calais de rejoindre leur famille en Angleterre, en expulsant des personnes vers des pays faussement sûrs, en validant des dispositifs comme les zones d’attente dans les aéroports… En entravant droit à la santé et droit d’asile. »

L’accord Union européenne-Turquie du 18 mars représente la dernière atteinte en date (voir page suivante). Même la Croix-Rouge et le HCR s’en sont émus. « La Syrie est la plus importante crise humanitaire et de réfugiés de notre temps, a déclaré le 15 mars Filippo Grandi, le Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés. Au-delà du financement, une tragédie de cette ampleur exige la solidarité. Simplement, nous avons besoin de davantage de pays qui partagent la charge en accueillant un plus grand nombre de réfugiés. » Quelque 170 000 places de réinstallation ont été promises par les gouvernements à travers le monde, selon le HCR, lequel souhaite voir tripler ce chiffre dans les prochaines années.

« L’heure est venue de changer de paradigme, alerte Gilbert Potier de MDM. Les États-Unis ont longtemps connu une politique sécuritaire et ils en sont revenus : bloquer les frontières, c’est engorger les voies d’immigration et empêcher les solutions politiques. Plus on est répressif, plus on aggrave la situation. S’il est difficile d’ouvrir des frontières, puisqu’elles existent, il faut ouvrir des voies sécurisées. »

« Plus on ferme les frontières, plus les gens prennent de risques, renchérit Marie-Christine Vergiat : 3 700 personnes ont trouvé la mort en Méditerranée l’an dernier. C’est un record absolu. » Droit d’asile sans étendre la liste des pays sûrs permettant aux pays d’Europe de rejeter davantage de demandes, libéralisation des visas de court séjour, accords de mobilité favorisant une immigration par le travail : « Il ne peut y avoir de solution qu’européenne », martèle Marie-Christine Vergiat.

Le 6 avril, la Commission européenne a commencé à ouvrir une brèche dans le sacro-saint règlement de Dublin II, selon lequel toute demande d’asile doit être déposée dans le premier pays d’entrée dans l’Union. « Par ailleurs, au Parlement, de nombreux députés européens, y compris libéraux, sont favorables à une politique d’accueil ambitieuse, reprend Marie-Christine Vergiat. Ce sont les chefs d’État qui bloquent. » La bataille d’opinion a commencé : « Premièrement : rappeler que les migrations font partie de notre histoire et que les migrants ont un projet, résume -Gilbert Potier. Deuxièmement : souligner l’apport économique des migrants, car on entend peu de discours là-dessus. Troisièmement : respecter le droit international et humanitaire. »