Un hélicoptère pour le capitalisme

Jean-Marie Harribey  • 6 avril 2016 abonné·es
Un hélicoptère pour le capitalisme
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La suraccumulation de capital et la surproduction sont partout dans le monde : tous les grands secteurs industriels et l’agriculture sont touchés, faute de demande solvable. Et les banques centrales inondent les circuits financiers de monnaie nouvelle. Malgré cette overdose de liquidités, le capitalisme est entré dans une nasse : les gains de productivité du travail sont devenus faibles et minent la rentabilité du capital, au moment où le pillage de la nature atteint lui aussi ses limites. 

Parce que, sur le plan global, les profits réels ne peuvent venir que de l’exploitation de la force de travail, la machine s’enraye et la bourgeoisie s’affole : Mario Draghi a même déclaré que le quantitative easing for people [1] « était une idée intéressante mais qu’il ne l’avait pas encore étudiée ». Serait-il tombé dans le chaudron keynésien ou dans celui du revenu inconditionnel ? Ne se moquerait-il pas plutôt de ceux qui guettent sa parole divine, faisant et défaisant l’humeur des marchés financiers ? La politique monétaire et la monnaie elle-même restent mystérieuses pour les citoyens. Au point que beaucoup de partisans du revenu d’existence reprennent l’idée de l’argent versé directement au peuple, qui recycle pourtant les apories de l’idéologie économique dominante sur la monnaie. 

Circule d’abord la croyance que la création monétaire serait néfaste parce qu’elle naît d’une dette. Mais toute monnaie est une dette, et cela doublement : elle est un engagement de l’institution qui l’a émise par un crédit d’honorer les paiements de son utilisateur, et ce dernier promet de la rembourser. La critique justifiée du profit capitaliste ne conduit pas à condamner le principe même de la création monétaire, indispensable à tout développement économique, qu’il soit capitaliste ou socialement utile, ou que les banques soient privées ou publiques.

Les pratiques bancaires capitalistes étant nocives, les choses changeraient-elles si la BCE distribuait quelques centaines d’euros par mois à chaque citoyen, au lieu d’échanger 80 milliards d’euros contre des titres possédés par les banques, ou si toute la création monétaire était centralisée à la Banque centrale ? Le problème à résoudre resterait entier : comment affecter la monnaie au financement d’une production utile pour la société ? La pauvreté ne sera pas vaincue en lâchant des billets du ciel, mais en transformant la production, l’organisation du travail, le temps de travail et la répartition des revenus issus de la production. 

Le capitalisme est devenu hors-sol : la « planche à crédit », c’est-à-dire l’hélicoptère pour le capital, nous mène au chaos. Mais un hélicoptère pour le peuple laisserait de côté l’essentiel : la transformation des rapports de production, qui ne découle pas de la direction prise par l’hélicoptère, fût-ce vers les consommateurs. La monnaie est une institution sociale pour accompagner les choix collectifs de production. D’où l’importance d’avoir un assouplissement monétaire en contrepartie d’investissements de transition vers un autre modèle de développement humain, dans le cadre d’un système bancaire entièrement socialisé.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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