Yanis Varoufakis et les « Minotaures »

L’ancien ministre des Finances grec examine un demi-siècle d’histoire économique et démonte les mécanismes qui ont conduit à la crise de l’euro.

Erwan Manac'h  • 6 avril 2016 abonné·es
Yanis Varoufakis et les « Minotaures »
© photo : BERND VON JUTRCZENKA/dpa/AFP

Économiste, historien, amoureux de la chose publique et à son tour homme politique, Yanis Varoufakis possède un point de vue unique sur la crise monétaire en passe de faire imploser le projet européen. Dans son dernier ouvrage, l’emblématique ministre des Finances du premier gouvernement d’Alexis Tsipras, au premier semestre 2015, revient sur un demi-siècle d’histoire économique. Avec un souci de clarté manifeste, il décortique les grands moments de rupture qui ont conduit l’Europe et la Grèce dans l’impasse qu’est devenue la monnaie unique. Ce « fantasme de croire possible de gérer la monnaie de façon apolitique », déjà expérimenté dans l’entre-deux-guerres, avait, selon l’auteur, « engendré les gangsters fascistes et nazis ».

Le récit de Varoufakis débute au sortir de la Seconde Guerre mondiale, lorsque les -Américains tentent d’asseoir une hégémonie sans partage sur l’économie mondiale. Ils inondent la planète de dollars et font pression sur les créanciers de l’Allemagne pour que plus de 70 % de la dette de ce pays soit effacée. Ils fixent aussi des règles du jeu strictes et donnent une valeur fixe au dollar afin de se prémunir des instabilités qui ont causé la déroute de 1929. C’est le fameux système de Bretton Woods, qui aurait pu endiguer les déséquilibres planétaires, mais était trop dépendant de la volonté des États-Unis. L’histoire aurait été tout autre si la proposition « grandiose » que l’économiste John M. Keynes formulait au même moment n’avait pas été écartée, écrit Varoufakis : créer une taxe mondiale alimentant un fonds de sauvetage, afin qu’aucun pays ne puisse « sombrer dans un trou noir d’endettement ».

Ce n’était pas l’ambition des Américains. Leur système monétaire exclusif et « la prospérité dans le mal-être » qui l’accompagnait se sont finalement effondrés à la fin des années 1960, sur fond de réveil des peuples. Ils ont laissé place à un autre type de domination à partir des années 1980, où il n’était plus question de régulation pour « le Minotaure » américain à l’appétit insatiable. Pour conserver leur hégémonie, les États-Unis ont incité les spéculateurs du monde entier à gonfler la Bourse de New York avec des taux de -rémunération « ahurissants » et des lois de plus en plus laxistes. Leur objectif était de « désintégrer l’économie internationale de façon contrôlée », écrit Varoufakis. C’est ce système qui a dicté l’austérité partout sur la planète et a implosé trois décennies plus tard, en 2008.

Dans cette étude amorcée avant son expérience de ministre, Yanis Varoufakis n’aborde pas le récit détaillé des cinq mois passés au gouvernement et de ce « coup d’État qui a renversé l’État grec ». En revanche, il décrit avec des détails percutants l’incompétence et la brutalité des dirigeants européens face à la crise de l’euro, ainsi que l’incurie des États-Unis, qui, selon lui, ne mesurent pas à quel point la crise de l’Europe les menace à leur tour.

L’économiste dessine une généalogie du couple franco-allemand à l’opposé de notre mythologie officielle. La France s’est mariée « contre » l’Allemagne, « comme un boxeur étreint son adversaire pour reprendre son souffle avant de lancer un uppercut ». Car l’Allemagne exportatrice et la France importatrice ont des intérêts contraires en matière de politique monétaire.

Yanis Varoufakis s’attaque également à l’utopie selon laquelle l’union économique et monétaire engendrerait un mouvement démocratique en Europe. L’union s’est construite sur un modèle technocratique « pour administrer un cartel industriel », observe ce partisan d’une Europe fédérale, qui redoute plus que tout « la montée de l’irrationnel, de l’autoritarisme et de la haine ». Car, à la faveur « d’une humiliation nationale et d’une implosion économique », le nazisme resurgit en Grèce, comme en -Allemagne dans les années 1930.

L’ancien ministre grec témoigne enfin de l’absence criminelle de débat au sein du conclave « égocentrique de Bruxelles ». En particulier sur la question monétaire. Un éclairage majeur.

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