Ce dont on (ne) parle (pas)

Le commerce des armes reste un sujet prohibé dans les rédactions où on se targue pourtant de briser des tabous.

Sébastien Fontenelle  • 11 mai 2016 abonné·es
Ce dont on (ne) parle (pas)
© Photo: MIKHAIL VOSKRESENSKIY / RIA NOVOSTI

Sais-tu ce que nous devrions faire ?

Nous devrions méditer [^1] sur ce dont la presse et les médias comme il faut (LPELMCIF) nous parlent. Puis nous devrions nous interroger, surtout, sur ce dont ils ne nous parlent pas. (Ou si peu que c’est tout comme si ça n’existait pas.)

Par exemple, nous avons, rappelle-toi, récemment revérifié, pour la centième fois, que, si l’excellente Élisabeth Badinter dit, au nom du « féminisme », sa détestation des musulmanes voilées, LPELMCIF lui dressent dans l’instant des tribunes un peu hautes, à la fin que sa voix porte loin : nos journaux, surtout s’ils sont du soir et « de référence », rivalisent dans ces moments-là d’obséquiosité pour donner de l’écho – jusque dans les chaumières qui n’ont pas la 4G – aux proférations de celle qu’ils présentent comme « la philosophe Élisabeth Badinter ».

Mais si, dans le même temps qu’elle flagelle et fustige ces mahométanes, Élisabeth Badinter, troquant passagèrement son mortarboard de penseuse mainstream pour une plus matérialiste gapette d’actionnaire – et non des moindres – du groupe Publicis, reste sans réagir [^2] quand cet établissement, dont elle préside aussi le conseil de surveillance, se met au service de l’Arabie saoudite, où les droits des femmes sont encore un peu loin d’être parfaitement reconnus, LPELMCIF ne nous en parlent pas : cette information, qui n’est certes pas sans intérêt (puisqu’elle éclaire d’une lumière crue ce qui pourrait presque apparaître comme le commencement du début d’une faux-dercherie sommitale, où les vertus de l’engagement savent facilement s’accommoder des nécessités du business), est censurée – non par de grands coups de ciseaux, qui seraient un peu bruyants, mais par son occultation.

Itou, le commerce des armes, où la France des « socialistes » s’illustre par l’assiduité qu’elle met à se compromettre avec des potentats d’une extrême dégueulasserie, reste un sujet prohibé dans la plupart des rédactions, où l’on se targue pourtant de briser des tabous par paquets de soixante quand c’est pour taper sur les chômeurs ou sur les Roms.

Et j’entends fort bien que le fait que LPELMCIF sont dans notre cher et vieux pays (très habitué à ces mélanges) largement concentrés dans les mains de quelques marchands de flingues – et autres appareils de chasse – n’est sans doute pas étranger à cette rare discrétion mais, à un moment donné, ça serait quand même bien que la même sinistre clique éditocratiste qui, du matin au soir, distribue à 360 degrés des leçons de maintien journalistique (liste non exhaustive) prenne le temps de considérer que les muselières dont elle s’équipe avant tant de servilité devraient l’inciter, surtout, à beaucoup plus de modestie.

[^1] Et quant à moi : l’envie me vient d’en faire un prochain livre.

[^2] Disons comme ça pour aller vite.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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