Guillaume Meurice : La vie comme un « grand terrain de jeu »

Sur France Inter, Guillaume Meurice se distingue par une chronique désopilante et politisée. Pas moins turbulent sur les planches. Retour sur l’itinéraire d’un portier fantasque devenu comédien humoriste.

Jean-Claude Renard  • 25 mai 2016 abonné·es
Guillaume Meurice : La vie comme un « grand terrain de jeu »
© Capucine De Chabaneix pour Politis

Ce 1er mai, le jeune homme se rend au meeting de Marine Le Pen. Le parti aurait-il changé ? Au Front national, on assure ne plus chercher de polémique. « Ça se passe très bien comme ça, l’entente est bonne. Dès qu’il y a un dérapement, les choses sont mises au clair », se félicite un militant. « Plus du tout de dérapement ? », s’étonne Guillaume Meurice. Diable ! « Faut-il sauvegarder la langue française ? » Naturellement, qu’on lui répond. « Aucun écartage ne sera toléré. »

Voilà le reporter rassuré, poursuivant ses déambulations auprès des militants. Au gré des voix, tombe le sujet d’actualité : le drame des migrants. « La France est envahie » ; « Il en vient de partout » ; « Ils ne parlent pas notre langage, ils ne connaissent pas nos méthodes de travail, donc à un moment… » À un moment, en effet… « Mais ils sont tout de même en danger de mort dans leur pays », tente un brin crédule Guillaume Meurice. « Chez nous aussi, réplique le militant, si vous traversez la route, vous êtes en danger de mort ! Vous vous levez le matin, vous glissez sur votre tapis de bain, c’est la tête sur le bord de la baignoire ! » Diantre ! Il fallait y penser. « Glisser sur un tapis de bain et être dans un pays en guerre, c’est pareil ? », ose encore le fringant jeune homme derrière son micro. « Oui, complètement ! », rétorque avec aplomb le frontiste. « L’angoisse ! J’ai regardé ce matin mon tapis de bain, je suis à deux doigts de demander l’asile politique à la Syrie ! »

C’est « Le moment Meurice », une chronique quotidienne distillée par le comédien humoriste sur France Inter, dans l’émission « Si tu écoutes, j’annule tout », présentée par -Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek. Inaugurée à la rentrée 2014, bazar foutraque rebondissant sur l’actualité autour d’un invité, l’émission connaît un succès d’audience considérable (avec près de 700 000 auditeurs entre 17 et 18 heures), cinglant sur sa droite, déboulonnant sur sa gauche les éléphants du Parti socialiste et le gouvernement. Dans ce bastringue, plutôt que de livrer dans un coin son billet d’humeur (ou de mauvaise humeur), Guillaume Meurice nourrit ses interventions de mini-reportages, de bribes de voix attrapées au micro (trottoir, parfois). Ça l’amuse. Et il amuse la galerie, sans fard, donnant du sens à chaque chronique. Parce que tout cela a un sens. Sans payer de mine : Guillaume Meurice possède des airs de Zazie dans le métro et le verbe corrosif, avec 25 ans de plus et la crinière déjà poivre et sel.

Turbulences intempestives

Né en 1981 dans l’encolure de Dijon, à Chenôve (avec un accent circonflexe sur le o), grandi à Lechâtelet (encore un accent circonflexe, sur le a), en Côte-d’Or, dans « la campagne profonde », le petit Guillaume a maturé entre un père cheminot et une mère au foyer, jusqu’à ce que tous deux, post-soixante-huitards assumés, reprennent une maison de la presse en Haute-Saône, du côté de Vesoul. À l’occasion, son père pige pour L’Est républicain, en correspondant local, soignant ses titres et son phrasé.

Foin de télévision à la maison, mais la radio et des journaux, des magazines et des livres en guise de jouets. « Je n’avais pas le droit ni le temps de m’emmerder, y avait 2 000 titres dans la boutique, il suffisait de piocher. C’était le lieu où tous les gens venaient discuter, débattre, argumenter chaque idée politique, ça causait dans la bonne humeur, même avec le curé du village. » De quoi forger des goûts. En attendant, il reste un gamin timide, réfugié dans les jupons de môman, avant de s’affranchir et d’enquiller les punitions pour turbulences intempestives. La scolarité se passe moyennement (à vrai dire, en dessous de la moyenne), jusqu’à rater une première fois un bac S avec option mathématiques, où il écope d’un 4/20 (les logarithmes népériens ont leurs limites), avant de glaner le titre de bachelier haut la main, avec une option biologie soldée par un 18/20.

Ces années d’apprentissage ont leur passe-temps : Guillaume est licencié au Sporting Club de foot de Jussey, onze ans durant, jusqu’à jouer pour l’équipe première, à 17 ans, entre un ancien taulard amateur de bourre-pif et un arrière droit prof de maths. Pas à n’importe quel poste : il est gardien de but. Gardien, c’est beaucoup dire. Portier fantasque plutôt, aux frêles allures d’albatros, bondissant dans la hantise du lob humiliant, d’une feuille morte fatidique façon Panenka, redoutant la courbe de Gauss, les débordements sur l’aile (gauche, le plus souvent), pataugeant dans la surface de réparation boueuse à traquer l’irréparable. Mais, dans sa solitude de gardien de but, idéalement placé sur sa ligne pour observer les événements, un petit monde s’agiter, spectateur de ses propres matchs, anticipant déjà peut-être son travail aujourd’hui sur la scène.

C’est pas tout mais, faute de vocation, le portier Meurice s’inscrit en DUT de gestion. « Je ne savais pas quoi faire, il me fallait un truc large. J’y suis resté deux ans. Les professeurs ne comprenaient pas ce que je faisais là. » Personne ne mise un sesterce sur lui. Il n’en ressort pas moins diplômé, en développant un système d’antisèches miniatures ingénieux, des MAP, « Mémoires assistées par papier », reliées joliment. En guise de stage de fin d’études, il file deux mois faire le ramier au conseil régional de Franche-Comté, au service des sports. Dans cette même logique du « je ne sais pas quoi faire », il entame en 2002 une licence d’administration publique à Aix-en-Provence. Mais s’amuse davantage en usant ses frocs sur les gradins du stade Vélodrome, à Marseille. Cette licence ouvre les voies à un concours de la fonction publique. Mais voilà : Guillaume trimbale avec lui la réputation du petit gars déconnant déconneur, au « tempérament à faire le pitre ». Ses proches lui recommandent le théâtre, dont il n’a qu’une image en tête, figée et costumée, celle de Gérard Philipe dans Lorenzaccio. La licence tourne au vinaigre et ses « Mémoires assistées » sont démasquées. Il est temps de changer d’air. Le portier monte en capitale et signe pour le Cours Florent. Un début dans la vie, sans endosser la redingote de Rastignac. « Je n’avais aucune ambition, ni de revanche à prendre, ni sur les uns ni sur moi-même. »

Dernier rempart

« L’avantage de cette école, c’est qu’on n’est pas chouchouté. Ça représente ce qui nous attend plus tard dans le métier. » Il s’agit alors de puiser dans ce que bon semble d’un professeur l’autre. Parmi eux, Julien Kosellek, « qui a changé ma vie, confie-t-il, avec sa pédagogie rentre-dedans, sur un mode brutal » (dont il a bien besoin). « Guillaume faisait partie d’un groupe d’élèves soudé, actif, se souvient Julien Kosellek. Mais, par rapport aux autres, déjà transgressif, ce qui reste la meilleure façon de faire du théâtre. Il s’amusait à détourner les règles imposées, avec de réelles qualités d’acteur. Et il est vrai que, sur la question politique, on s’est vite entendu. » Kosellek se veut un enseignant tourné vers le théâtre contemporain exigeant, quand Meurice a déjà un goût prononcé pour l’humour. « Je devais prendre ce qu’il y avait à prendre, selon lui, et qui me servirait plus tard. » Classique compris. Comme jouer Mesure pour mesure, de Shakespeare, non sans mal pour le trublion. « Il fallait quand même travailler ! » Il reste quatre ans et monte ses deux premières pièces, Les Boulingrin et La Peur des coups, de Courteline.

Au sortir du Cours Florent, il enchaîne avec le théâtre de rue, égrenant les festivals. En 2007, « poussé par les copains », il écrit son premier spectacle : Annulé. Pour le coup, à peine cinq péquins se pressent pour la première. « Mais je n’ai pas mal vécu les trucs, je n’ai jamais eu l’impression de galérer », observe le comédien. Pour croûter, parce qu’il faut bien, même une salade de quinoa bousculée par des fanes de radis, Guillaume Meurice additionne les turbins. Dans un Relais H à la gare Saint-Lazare d’abord. Là où le patron, un jour de franc dilettantisme, lui reproche de voir « la vie comme un grand terrain de jeu ». C’était exactement observé. Branleur, mais pas j’m’en-foutiste, l’ancien dernier rempart du club de Jussey prend la réflexion au pied de la lettre. Six mois plus tard, il est à la préparation de commandes chez un éditeur scolaire, puis au standard dans une boîte de coursiers, ou encore agent courrier à la Sogecap (l’assurance vie de la Société générale). Une expérience tragicomique pour celui qui remplit sa besogne entre blagues et sourires.

« Putain de poème »

Tragicomique car, si le rejeton d’un marchand de journaux a bonne presse auprès des -collègues, il ne séduit guère sa supérieure hiérarchique directe. La gouape infecte veut sa peau, exige sa mutation, et l’obtient. Retors à l’autorité, le gars de Chenôve n’en reste pas là, vise la boutade en guise de pot de départ. Et compose au clavier, de ses mains innocentes (quoique) et espiègles, un petit poème en alexandrins expliquant au personnel les raisons de son départ : « Pourquoi ? Me direz-vous ? Demandez au bureau/Celui rez-de-chaussée, les moyens généraux/Adressez la demande, à celle qui, clin d’œil !/Porte le nom d’un arbre dont on fait les cercueils. » Le poème tombe dans la boîte mail de trois cents personnes. Et paf ! Branle-bas de combat dans l’entreprise. La posture romantique passe mal. Il devient le paria, mis à pied, « constituant un danger pour l’entreprise », menacé d’être licencié pour « faute grave ». « Ça s’est terminé avec une avocate, pour un putain de poème ! » Certes, pas un poème à deux balles, mais à 3 500 euros de dédommagement pour cézigue. J’en ai retenu deux leçons, relève le fauteur grave : « On peut foutre le bordel avec un tout petit poème, et la violence de la réponse à l’égard d’un modeste employé. Si j’avais eu une famille, je n’aurais jamais pu me permettre ça. Et c’est dégueulasse de ne pas se le permettre ! »

En 2009, le sale gosse se veut noir sur noir. Il endosse le costume de la mort, brinquebale dans Paris une faux sur l’épaule, harangue le chaland, distribue des cigarettes aux gamins pour les encourager à tirer sur leur première clope, soutient les patrouilles en uniforme dans leurs bavures, se rend au siège de France Télécom en nouveau directeur du management. Des séquences qu’il distille sur Internet. Dans le même esprit de provocation, en 2012, il se rend au dernier meeting de la campagne de Nicolas Sarkozy, déguisé en Marianne, coiffé d’un bonnet phrygien, brandissant sa pancarte « J’ai mal au cul », au recto, et « Moi Marianne, femme battue depuis cinq ans », au verso. La canaille s’en souvient encore : « C’est la seule fois de ma vie où je me suis pris un poing dans la gueule. » Cette même année, il tient sa première chronique sur France Inter, aux côtés de Pierre-Emmanuel Barré (autre sale gosse de la scène), complice pas moins turbulent, dans une émission de Frédéric Lopez. Il est vite repéré. C’est aussi, dans cette nouvelle génération d’humoristes, l’un des rares à écrire lui-même ses chroniques (ceci expliquant cela ?).

Pires conneries

Orée 2014. Guillaume Meurice crée un nouveau spectacle : Que demande le peuple ? Cette fois, le titre évite le quiproquo ballot. Le comédien joue un communicant suffisant, en transe de bêtise inquiète dans son arrogance. « C’est vraiment symptomatique de notre époque. On en retrouve partout. Quand on interroge une boîte, on est d’emblée confronté à eux, avec leurs éléments de langage, dans l’économie comme dans la politique et les moments de crise. »

À la rentrée 2014, il s’installe donc dans l’équipe de Charline Vanhoenacker. Avec sa trogne d’enfant béni et ses reportages dans la besace. « J’adore le terrain, et j’ai toujours un micro sur moi. Je n’ai pas de recette, mais j’aime faire parler les gens. » La recette, elle tient sans doute aux cours de Julien Kosellek. « Ses qualités vont bien au-delà de ce qu’il montre en radio », observe le metteur en scène. Ces cours, il fallait bien que cela serve au démiurge coquinou, cultivant la repartie pour obtenir des témoignages ahurissants, des points de vue de fripons et fripouilles de la pensée, comme autant de visages acerbes du monde alentour. Avec un vendeur d’armes au salon Milipol, refusant le lien entre les armes et le terrorisme, avec un président du syndicat des propriétaires, estimant qu’être SDF « est un choix de vie », avec le directeur du Marineland d’Antibes, perplexe quand on lui demande si ça lui « plairait de passer [sa] vie dans une baignoire ». Du lard ou du tofu ? Conservant la détente et le réflexe imparable, Meurice répond aux pires assauts des pires conneries. « J’aime les gens qui s’inventent une logique pour justifier ce qu’ils pensent. La drôlerie est dans l’absurde. »

Lecteur d’essais, en « obsédé du réel », féru d’Albert Jacquard, entre deux cours de batterie, fidèle aux journaux également, mais nulle part abonné parce qu’il privilégie le kiosque (profession des parents oblige), effrayé par la concentration des médias, le comédien mesure avec distance la reconnaissance. « Je remplis mon frigo et paye mon loyer en faisant des blagues, c’est quand même incroyable ! Ça aussi, c’est absurde ! » A fortiori sur une radio publique, où l’agité du bocal muscle son verbe en toute liberté. À 200 euros la chronique, voilà de l’argent public à bon escient. Le succès radio aidant, au prochain Festival d’Avignon, il n’aura peut-être pas besoin de tracter pour son spectacle. Que demande le peuple ?

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